Décembre 1913 : naissance de son fils André. 

 

Mercredi 3 décembre 1913

Voici ce qu'écrit Fernand dans son journal : 


"Juliette pousse un cri affreux, l'enfant sort la tête aplatie, se pousse soudain, puis c'est une épaule et ensuite mes yeux ont peine à saisir cet inexplicable phénomène, une sorte de pantin sur lequel on donne quelques claques. Le mystère est accompli, l'enfant jette quelques cris plaintifs et sa mère, de suite, d'une voix changée, s'intéresse : "Dites, surtout ne le laissez pas tomber."
Tandis qu'on la soigne, je reste près de notre enfant. Ses pieds, ses mains sont énormes, sa tête assez jolie ouvre des grands yeux noirs qui papillotent. Que sera-t-il dans la vie, ce petit être bien constitué qui, pour l'instant, fait toute notre joie ? Longtemps, peut-être une heure, je suis resté à le couver du regard et je me sens des sentiments nouveaux faits de tendresse et d'autorité. Je serai, je crois, un bon père... j'en doutais encore hier."
 
 
 
Le 10 décembre :
 
" André va avoir huit jours ; déjà ! Déjà ? Je suis si habitué à son visage qu'il me semble l'avoir toujours connu. Que d'émotions dans ces derniers jours ! A-t-il assez, a-t-il trop ? Et sa fontanelle ? Dites, Madame G.?... Le trouvez- vous bien ? Ses petites jambes sont-elles normales ? Quelles bonnes joues ! Sa peau est un peu rouge, ne trouvez-vous pas ? Ce sont des inquiétudes, des admirations, des foultitudes de niaiseries qui voient le jour en questions de toutes sortes. La maman un peu pâle ne marque ses inquiétudes que par de grosses larmes qui coulent silencieusement quand le lait ne donne pas assez. Le père, lui, va et vient, c'est la mouche du coche : il s'exalte sur la quantité de lait, rassure maladroitement sa femme, bref, donne l'impression du bon garçon un peu honteux d'être inoccupé et surtout fâché de n'être bon à rien malgré son bon vouloir.
Le bon garçon sait cependant être sensible aux belles choses, il vient de commencer les études d'un tableau : "l'accouchée", dont il escompte grand bien. Le sujet fait ici tous les frais et supplée à l'imagination. Au premier plan, un lit recouvert d'un couvre-lit capitonné bouton d'or, l'accouchée jette un regard un peu noyé vers la garde qui lui tourne le dos pour s'occuper du poupon dont on voit la face ronde et rose émerger d'un berceau blanc. L'ensemble est blanc crème avec deux taches noires, les cheveux de la convalescente et la jupe de la garde. Le tout est compris dans un cadre ovale. Je me propose d'exécuter ce tableau avec le plus grand soin dans le dessin, la couleur sera posée en glacis, les dessous formant, par leur fouillis, épaisseur de pleine pâte."
 

Mon père André avec ses parents Fernand et Juliette.