1911–1912 : critiques rédigées par FALO

Depuis le début de l'année 1911, Fernand est critique d'art pour la Revue de Belgique.
Il envoie régulièrement des articles où il écharpe les peintures des autres. Voici des extraits des différents textes que j'ai trouvés à ce sujet.
Il est clair que ALO est réfractaire à la modernité : le cubisme lui donne des boutons, le futurisme la nausée...

 

1er février 1911

L'exposition des artistes de Paris 

La deuxième exposition des artistes de Paris, ouverte à la galerie Brunner, s'impose à l'attention. La première avait été trop ignorée, peut-être à cause de sa situation perdue, là-bas vers Montparnasse. 

Le groupement des artistes de Paris n'est qu'une fortuité d'extraits de naissance : car nulle unité ne se dégage des 231 numéros exposés. Il est même étrange qu'il n'existe pas là une ambiance d'esprit parisien. Au contraire, tous ces peintres originaires de Paris, paraissent soucieux de s'en évader. Ils sont paisibles, doux ; ils ignorent la mêlée tumultueuse et colossale au milieu de laquelle ils sont nés et, s'ils voient Paris, ce qui est miracle, c'est celui qui se reflète dans la Seine placide aux rives égales. 

M. R Collin (https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-Joseph-Raphaël_Collin) est un tendre joueur de pipeaux arcadiens, un évocateur de nymphes songeuses, un faune enrubané ! Mais quelqu'un me dit qu'il offre l'aspect rude d'un barbare... Toujours la loi des contrastes !

Roll (https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Roll) a peint un Sous-Bois dans cette note assez sombre qu'ont certaines toiles de Courbet. Roll présente cette particularité de se renouveler incessamment, mérite qui n'est pas sans danger, et dont se gardent trop les jeunes en un temps où il faut se spécialiser coûte que coûte. 

On peut affirmer qu'il n'y a aucune perte à ne pas voir les Peaux-Rouges de Cormon, (https://fr.wikipedia.org/wiki/Fernand_Cormon)et n'être pas pour cela une méchante langue. 

Citons Bédorez (Jean-Louis Bédorez) et ses esquisses d'un ton fin, et Chapuy (https://fr.wikipedia.org/wiki/André_Chapuy) qui fait au galop de petites toiles charmantes. Boisselier (https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_A._L._Boisselier) expose un affreux Jean Béraud, et David Millet, qui a du talent, une vieille dame bâtie comme une cathédrale et une cathédrale qui ressemble à une vieille dame. Gourdault (Pierre ou Marius ? ) et Biloul (https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-François_Biloul) attirent par la chaleur moelleuse de leur coloris, et l'épisode chez l'Antiquaire du premier est un morceau de choix. De Gunnery ( ? ), un vivant portrait de fillette peint sous l'inspiration de la nature, ce qui est rare, nos peintres préférant s'en tenir aux ressources d'un métier bien appris ou à leur "manière" immuablement fixée par de précédents succès. – Un coup d'oeil au envois intéressants de Delpey, de Lemonier et de Tranchant (http://www.universdesarts.com/biographie/5131/tranchant-pierre-jules.html), dont le Père Coquet, paysan solide et simple a dû connaître jadis F. Millet. Lauth (https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Frédéric_Lauth) et Dagnan-Bouveret (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pascal_Dagnan-Bouveret) exposent et d'autres aussi. 



15 février 1911

"…  « Et moi aussi je suis peintre »( Raphaël)
 
Combien sont nombreux ceux qui, à l'exemple de Raphaël, ont fait, depuis, cette constatation.
Le pis est bien que cette découverte ne borne pas les prétentions et que les pinceaux sont d 'une fécondité chinoise. Les expositions collectives qui se multiplient ne suffisant pas à la production, des expositions personnelles s'ouvrent partout, et ce, en dépit de la disparition presque totale d'une espèce qui était cependant précieuse : « l'acheteur ».
Si les automnistes [sic] sont rassurés, leurs produits s'écoulant, on le sait, dans les colonies allemandes, il ne doit pas en être de même des exposants d'aujourd'hui. En effet, des tableaux étant exposés au "Salon d'Hiver" , à "l’École Française ", aux "Unes" (salon des femmes), aux "Intimistes", chez les frères "De la Hogue" , chez "Willette", chez "Nozal", on peut se demander où ira toute cette peinture....
P.S. - On annonce l'exposition "Théaldi", "des Rosati", du  "Salon du Peuple" , des "Indépendant"[sic]  en attendant les cinq mille numéros des deux "Grands Salons". (Ces deux nomenclatures concernant Paris seulement .)"
 
 
1er mars 1911 
 
Le Salon d'hiver et l'école française
 
Les salles sont chauffées au Salon d'hiver, et les gardiens sont amènes ; aussi les papas et les mamans qui viennent somnoler doucement devant le tableau de leur "fifils" bien aimé sont-ils nombreux. En vérité, les jeunes peintres perdent, peu à peu, le respect du public. L'exemple de certains aînés, les exigences de la vie et la publicité à outrance entrent sans doute pour quelque part dans la médiocrité des expositions nouvelles ; mais, cela peut-il être une excuse aux yeux des visiteurs ? 
Léon Connerre  (https://fr.wikipedia.org/wiki/Léon-François_Comerre ??) avec un dévouement qui l'honore, soutient de son nom et d'un "nu" un peu moins creux que d'ordinaire, une exposition faite de petites toiles d'un art maigrichon et soigné. De Gabriel Ferrier, un portrait dont le fini s'explique par un burinage implacable et obstiné. Parmi de hideux et faux Roybet, il serait injuste de ne pas citer quelques envois intéressants : les Prés inondés de Broquet  (https://fr.wikipedia.org/wiki/Léon_Broquet), une Femme couchée, de Muselier, (Amédée Muselier), et la Chapelle bretonne de Ch. Rivière (https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Rivière), qui m'a paru plus grande que nature. –Le Nu de Delobre (https://fr.wikipedia.org/wiki/Émile_Delobre)  mérite une attention toute particulière, et Edouard Zier(https://fr.wikipedia.org/wiki/Édouard_François_Zier) captive par ses impressions notées avec une belle humeur de robuste santé. 
L'école française est voisine au Grand Palais du Salon d'Hiver dont je sors. – de Charybde, je tombe en Scylla. On a l'impression d'être ici dans une petite classe où les élèves sont bien sages. Les toiles disent l'alphabet de la peinture, et quelques unes vont jusqu'au "ba-be-bi-bo-bu". Cet exercice manque d'intérêt. Que citer parmi les Montagnes d'asperges et les ridicules Inondations ? Voici Seignac, qui perpétue Bouguereau avec une foi de charbonnier. –Franconville, Dayne, Grassot, Goulinat, Abeillard, Dupnat... et je fuis vers le grand air, vers la magnifique avenue des Champs-Elysées, où les équipages fringants et les autos luxueux sont un autre spectacle que tous els salons, d'hiver ou d'automne. 
 
15 avril 1911 
 
Les humoristes français 
 
Dussé-je être comparé au gilet de M. Brisson, ou pis, au parapluie de M. Bérenger, j'avoue ne pas avoir ri au Salon des humoristes. A qui ou à quoi la faute ? Est-ce à moi qui y étais allé en me promettant de francs rires ? Est-ce à eux, innocents sans l'être assez, mordants sans assez de cruauté ? Ou est-ce plutôt au groupement, qu'il faut attribuer la somnolence des visiteurs nombreux ? Certainement l'entassement nuit aux humoristes, et les gaietés s'émoussent à multiplier leurs contacts. Le meilleur mot d'esprit perd à être entouré ; il faut qu'il vienne seul et à son moment pour être pleinement goûté. 
Ceci dit, jetons un coup d’œil sur l'agréable salle bien claire et tout à fait de saison. Voici Jean Weber (https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Veber) dont les dessins délicieux enferment toujours de quoi faire réfléchir : Delannoy (https://fr.wikipedia.org/wiki/Aristide_Delannoy) rude aux riches, sensibles aux humbles ; Weiluc (https://fr.wikipedia.org/wiki/Lucien-Henri_Weiluc), aux légendes d'une drôlerie bonasse, appuyées par un dessin énergique et serré ; Et Poulbot, l'excellent illustrateur de Poil de Carotte, Poulbot, grand frère de la marmaille montmartroise. Ses "Poil de Carotte" tour à tour farceurs, impudiques, héroïques ne cessent jamais d'être eux-mêmes, c'est à dire de petits pissenlits poussés en serre chaude. Suivent Ibells, Moriss et Jossot, avec des envois sans intérêt ; Willette et Thévenot, tous deux charmants, et dont les envois également appréciés raviront plus que jamais les amateurs du XVIIIe siècle. Le puissant Steinlen (https://fr.wikipedia.org/wiki/Théophile_Alexandre_Steinlen) avait mieux à exposer, j'en suis sûr, et chacun le regrettera. De Dethomas (https://fr.wikipedia.org/wiki/Maxime_Dethomas) , quelques dessins fermes et décoratifs, et, de Léandre (https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Léandre), un ensemble fort étudié qui est juste le plus imposant envoi du salon. 
On a réservé le centre de l'exposition aux oeuvres de Zislin (https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Zislin) et de Hansi (https://fr.wikipedia.org/wiki/Hansi) , deux Alsaciens dont le cœur est français et que tant de Français ont au cœur : leur exposition est en effet décorée de bouquets que sont venus déposer d'anonymes admirateurs. 
Une salle destinée aux dessins politiques, c'est à dire à Marianne, prend une allure... Marianne a pour beaucoup de puissantes mamelles et cette insistance atteint à la fadeur : les humoristes devraient montrer l'exemple en renonçant à les sucer sans merci comme ils le font, ne fut-ce que pour réduire à l'inaction M. Bérenger, déjà cité. 
 
15 Juin 1911
 
Le Salon de la Société nationale des beaux-arts
 
La figure largement épanouie en un rire accueillant, le ventre large, proéminent, déboutonné, décoré : c'est un véritable bourgeois, en dépit de ses allures débraillées. Son chapeau pointu, sa lavallière flottante, sont avec la bonasserie libérale de ses manières les dernières traces de sa jeunesse jacobine. Quiconque l'a vu, demeure convaincu que son hospitalité plutôt ouverte relève plus d'une politique finaude et opportuniste que d'un goût personnel. C'est un malin chez qui se coudoient avec une apparente bonne humeur la Droite têtue et l'Extrême-gauche agitée. Et c'est le symbole de ce Salon : Besnard et Anquetin, Armand Point et Boldini, Baudouin et Gervex ; le brillant La Touche, le capiteux Willette, le délicieux Frieseke, Caro Delvaille et Aman Jean, deux grands artistes, voisinent avec le coupable Courtois, le triste Agache, et l'exécrable Béraud...Il serait piquant de avoir ce qu'ils pensent les uns des autres. 
Un nouvel arrivant attire tous les regards : c'est Hanicotte, tout chargé d'une ardeur noblement combative. Que va-t-il se passer !...
 
 
  
1er novembre 1911 
 
Le Salon d'automne
 
Né dans la cave du petit Palais, le salon d'automne [sic] (https://www.salon-automne.com/en/home/) est un sommelier dispensateur de grosses ivresses. Chez lui, on suce du haschisch, on boit de l'éther, on fume de l'opium, et les élucubrations sont folles, difformes, monstrueuses, ou mort-nées. Elles ont de dangereuse pestilences.
Il s'en faut cependant que tous les exposants du Salon d'automne relèvent de la pathologie et soient susceptibles, comme dit le docteur Pamphile dans le Journal de retenir l'attention des médecins en général et des aliénistes en particulier. Non, il est, parmi ces « sujets », quelques mâles dont la parfaite santé est rebelle à la corruption, et pas mal de « jeunes » qui jettent avec abondance la gourme de leur vie d'artiste. À cause de ceux-là, il faut bien se retenir de trop qualifier les réunions de ces gloutons d'un succès au rabais et de ces lugubres clowns...brûleurs de temples.
Peut-on nommer autrement les cubistes, les pyramistes, [sic] les tortillistes, [sic] que leurs stratagèmes grossiers ont revêtus de la livrée rouge des bouffons ? Sur leur pavois bâti de ridicule, ces farceurs sont même flattés des crachats qu'ils reçoivent. Leur avènement me fait plaindre les   Matisse, les Van Dongen, les Vlaminck dont l'étoile maintenant s'anémie. Tout lasse. Incitatus, consul va redevenir « carcan » par l'éternelle puissance de la raison. Ce jour-là, seulement, le Salon d'automne aura mérité de l'Art français. Mais d'ici-là !...
Notons, cependant, avec un plaisir double, le très lumineux plein air de Du Gardier, la composition un peu froide sans doute de Déziré, et la charmante fantaisie que Chapuis appelle Repos. Une décoration : Méditerranée, de Bonnard,et une Fantaisie sur Sylvie, de Mme Marvel, sont   des peintures d'un éclat printanier, mais d'un dessin un peu sommaire. L'envoi de Devallière marque un talent inégal de chercheur.
On parle partout que De Groux a presque du génie. Ce « presque »-là est une vilaine malice qui vaut moins que certain de ses nombreux tableaux, intitulé Christ aux outrages , et qui a un furieux mouvement.
 
Personne dans la salle de l'Art à l'école ! Que de cubistes cependant auraient dû s'y presser pour recueillir les leçons de ces talents de six ans…
 
 
 
15 février 1912
 
Les futuristes
 
"J'ai voulu voir l'exposition des peintres futuristes. On m'avait dit : « Allez voir ça. Vous m'en direz des nouvelles. Ces peintures-là ne ressemblent à aucune autre. »
J'ai vu !...D'après la notice qui est au début du catalogue, l'art futuriste est destiné, comme son nom l'indique, à enterrer définitivement le passé, et avec lui les Raphaël, les Rembrandt, les Titien, les Rubens, toute la kyrielle des faux dieux qu'un coup de « cubisme » a déjà mis par  terre. Plus rien n'existera en dehors du futurisme, qui nous donne dès maintenant des visions d'avenir avec des moyens appropriés à un aussi vaste dessein.
En littérature, il s'exprime ainsi : « l'autobus s'élance dans les maisons, qu'il dépasse ; et à leur tour, les maisons... » Ou : « Comment croire   encore à l'opacité des corps ? » En peinture, c'est par le point, la virgule, le parallélépipède, ou le cône, qu'on arrive à définir « l'état d'âme de ceux qui restent » ou « les forces d'une rue ».
J'ai vu « le portrait du poète futuriste Marinetti ». Le catalogue devient ici d'un immense secours. Sans lui, il serait permis de confondre   cette image avec le portrait de « l'état d'âme de ceux qui s'en vont » ou avec toute autre chose...Ce portrait est captivant : sous le front du poète circulent ses pensées futuristes ; elles sont cobalt, chrome citron, ou garance. Leur mouvement est parfaitement saisi. Le va-et-vient de la cigarette que le poète a aux lèvres et sa puissance calorique, rendus par des touches zigzagantes, le tout enfin est d'un très grand effet.
J'ai vu « Les adieux ». Cette œuvre est la plus troublante de l'exposition. Au centre du tableau, le numéro mystérieux 6943. Ce numéro, je  dois le dire, fait le plus grand honneur à l'artiste : frappé au pochoir, il a la perfection des chiffres qui illustrent les emballages bien conditionnés. À gauche, à droite, au-dessus, en dessous, un enchevêtrement capricieux de membres humains, de roues de locomotives, de cheminées, de tire-bouchons est un des plus impressionnant. Telle est cette œuvre dont je garderai un précieux souvenir...
Mais rien ne vaut « Les forces d 'une rue ». C'est une vue de pavés, partout de vulgaires maisons, quelques passants, hâtivement dessinés, deux ou trois réverbères ; et à travers, oui, à travers le tout, la vie souterraine avec son métro, ses conduites de gaz, ses égouts, et les abîmes insondés.
Le futurisme a été conçu par des sages. Saoulé dans son sanctuaire par les "fanfares assourdissantes" des visions d'avenir, on s'étonne de trouver, en sortant, le Présent et sa bise aigre et surtout la pluie froide qu'on avait maudite en entrant."
 
 
 
Portrait de Marinetti par Carlo Carra                                       Umberto Boccioni,  Stati d’animo. Gli addii 
Umberto Boccioni,  La forze di una strada 
 
 
(Merci au Baron Le Bailly de Tilleghem pour son aide, il a retrouvé ces trois œuvres dans le catalogue d’une exposition du Centre Pompidou à Paris en 2008-2009 : «  Le Futurisme à Paris. Avant-garde explosive ») 
 
 
15 mars 1912 
 
Exposition des Boursiers de voyage et Prix du Salon
 
Cette grande exposition quinquenale qui est ouverte au Grand Palais, est tout à fait réussie, n'en déplaise aux croque-morts cubistes et futuristes. Il y a ici des artistes encore bien vivants qui ont, Dieu merci, vu la Nature autre part que dans l'odieux crible littératurisant d'un Marinetti débrouillard et farceur. 
Charles Cottet (https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Cottet) est un puissant artiste. Son tableau Douleur au pays de la mer est d'une beauté poignante. Sa conception servie par un art savant, complet, et par une palette somptueuse sans préciosités inutiles, s'exprime dans toute sa sombre grandeur. Au premier plan, un mort dans l'attitude reposée du sommeil heureux. Agenouillés près de sa tête, des marins, mornes et calmes sauveteurs prient. La face au ciel, violemment renversée, exsangue, horriblement souffrante, une femme sanglote : fiancée, épouse, mère ? ... Qu'importe, cette femme est la douleur elle-même, la douleur ardente, tordue, atroce, sublime ! Autour d'elle, quelques femmes, pleureuses antiques venues d'un Golgotha, et, derrière, ainsi qu'une évocation de calvaire, une vision rouge de voiles et de mâts. Cette oeuvre n'est pas épisodique. Son âme est de tous els lieux, de tous les âges, elle est humaine, splendidement ! 
Gourdault est un beau tachiste, son Gitane qui sourit de toutes ses dents ainsi qu'un chien prêt à mordre, est d'une coloration remarquable. Beaucoup d’œuvres vues aux Grands Salons sont revenues ici : on les retrouve avec ennui, comme certaine Parade, oeuvre vulgaire de Jonas, ou avec joie, telle cette Dame en vert et violet, pleine d'un éclat extraordinaire, de Guillonet. 
Il faut citer les envois d'Adler. Ses dessins adroits et vivants, les œuvres fluides de Chabas, les pages âpres et emportées de Le Mordant, Caze aussi, Cigot, Mlles Dufaut et Desportes, et surtout, surtout Delasalle, le doux Delasalle, dont la couleur est un ravissement. 
Les Boursiers forment un solide bataillon carré... Sachez-le, Messieurs du Cube ! 
 
 
Charles Cottet, Douleur au pays de la Mer
 
 
15 mai 1912 
 
Société des artistes français 
 
Le Salon des artistes français se recommande par une tenue générale : son habit académicien noir, vert et or, quoiqu'un peu vieillot et fort usé par endroits, ne lui donne pas moins cette allure aisée et distinguée du parfait homme du monde. Le public lui rend sa faveur après s'être compromis assez sottement dans de dangereuses admirations. Soyons heureux de ce retour à la belle et saine raison qui fait la grâce française et qui fut abandonnée aux coups du snobisme et de la spéculation. 
La meilleure intention du "fauve" le plus poilu ne vaudra jamais, selon moi, la réalisation si honnête du plus humble des Chardin. 
M. Henri Martin (https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Martin_(peintre)) tient au Salon une place prépondérante. 
L'Automne et les Devideuses sont deux oeuvres magnifiques : elles expriment la joie merveilleuse du soleil. L'image de la terre, de ses saisons, de ses heures est exprimée par ce matérialiste avec tout l'enchantement due nous espérions jadis trouver dans l'au-delà... Quelqu'un me disait que le bonheur ne se trouve pas à quatorze heures, mais bien à midi en automne... Henri Martin est parfaitement de cet avis, et nous le fait partager. 
 Henri Martin, L'Automne 
 
Gourdault est un coloriste robuste qui a des affinités avec le Greco, et plus près de nous, avec Manet. Biloul est le peintre savoureux et passionné de la chair voluptueuse, ferme et lactée. 
J.-P. Laurens étonne par la jeunesse orgueilleuse de son admirable tableau des Jeux floraux à Toulouse. Cette énorme page décorative déchirée pas les uns, encensée par les autres, me porte à croire notre époque incompétente à la juger. 
Le tableau de Monchablon qui fait penser à Fourqueray ne perd aucunement de son intérêt, bien que se trouvant à proximité de la Jeunesse de Max Bohm (https://fr.wikipedia.org/wiki/Max_Bohm),  dont le talent hautain est un inquiétant voisinage. 
Citons, cueillis au hasard de la promenade, les noms de Cauvy (https://fr.wikipedia.org/wiki/Léon_Cauvy), dans Alger la Blanche, Dechenaud dans un beau portrait de Mme Wallus, Adler dans l'Accident, Mme Martin, Mlle Delorme, MM. Fourqueray, Deutsch, Cotenet, et bien d'autres encore que je regrette de ne pouvoir signaler faute de place. 
A la sculpture, trois envois remarquables, signés Boucher, Bouchard, Brasseur. 
 
 
 
1er juin 1912
 
Le salon des Indépendants
 
Ce salon est une boutique où l'on vend, parait-il, au rabais. Il est le réceptacle des vieux fonds d'atelier pour certains peintres ; pour les autres, l'urne funéraire ouverte à leurs péchés de jeunesse.  
Vous perdriez votre temps à chercher dans cette cohue de tableaux et de sculptures plus de cinquante expressions d'art probe et je ne pense pas que cela suffise. 
La peinture est ici avant tout autre titres "réclamiste" et les moyens qui jadis ne manquaient pas pour attirer l'attention fatiguée paraissent s'épuiser. C'est à peine si l'intéressant monsieur Public, qui venait hier aux Indépendants pour y rire un brin, consent encore à se déranger. 
Je ne désespère pas de voir un jour, pressé par le besoin de renouveau, des expositions de peinture phonographique : j'entends dire qu'un appareil habilement dissimulé attirerait irrésistiblement le foule en lui hurlant des injures...., comme chez Bruant, ou bien encore qu'une ingénieuse image de combat sanglant se recommande de vrais coups de feu tirés à propos sur les gardiens. 
A dire vrai, la gloire ne fut jamais plus inconstante qu'à notre malheureuse époque. Matisse a tué Rousseau (le douanier), les Cubistes ont triomphé de Matisse et les Futuristes des Cubistes.  De mains en mains les lauriers passent rapidement pour rester en fin de compte dans celles de Bonnot, Garnier et Carouy (nb : il s'agit de membres de la bande à Bonnot). Les gloires ainsi que les morts vont vite. 
J'ai fait les cent pas dans le désert des Indépendants et voici quelques noms annotés : Chapuy, Désiré, Mlle Settler qui, malheureusement en progresse pas. Pam, humoriste truculent, Plantey avec un étude de nu assez fine, Hubert Heimat, Mlle Karpelis, Hope, et c'est à peu près tout. 
Parmi les autres on découvre quelques plats valets de Roybet, ou de Henner, ou encore d'obscènes concurrents de la maison Tellier. 
Cependant ce Salon arbore le pavillon de l'indépendance. : serait-ce que les artistes comme les enfants demandent à être pris par la main pour suivre la bonne voie ?