1909 – 1911 : Les Guignolades et La Forge
Certains détails proviennent du texte écrit par Monsieur Jadot (http://www.kaowarsom.be/documents/bbom/Tome_VIII/Jadot.Joseph_Marie_Camille.pdf) dans La Revue sincère, numéro consacré à la mémoire du bon peintre Allard L'Olivier.
En 1909, Fernand habite boulevard du Montparnasse, dans une petite impasse. Il monte avec 5 amis une revue satyrique appelée Les Guignolades. La revue paraîtra, à raison d'un numéro par semaine, du 1er juillet 1909 au 1er juillet 1910.
Outre Fernand, qui dessine et imprime, mais aussi écrit à l'occasion sous le pseudonyme de Bur-Bis, il y a :
Gabriel-Tristan Franconi (Bis-Bur) (https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel-Tristan_Franconi) (Franconi publiera en 1917 Bisbur au Democratic-Palace)
Émile Gérard-Gailly (Paul Atim) (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_G%C3%A9rard-Gailly)
Gustave Charlier (Brin d'amour) (https://fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_Charlier)
Victor Morin (Brisson d'amour) (https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Morin_(directeur_de_la_photographie) qui travaillera ensuite avec Genval en Afrique)
René Colomer (Vieille Muse)
Se joindront aussi à eux : André Colomer (https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Colomer) et Léon Debuc
Les textes sont burlesques, amusants, de petites scènes de théâtre, des poésies "à la manière de", des textes commentant de manière satyrique l'actualité....
Texte accompagnant le premier numéro :
CORPORATION des COMPAGNONS de GUIGNOL en bois de Tilleul, 12 impasse du Montparnasse
Chers abonnés,
Nous vous faisons l'honneur et le plaisir de vous adresser les premières éditions de nos GUIGNOLADES.
Puissent-elles vous réjouir autant qu'elles nous ont ébaudis et puissiez-vous les garder dans vos riches collections entre vos portraits d'aïeux et vos cruches de Sèvres.
Chaque mois, vous recevrez quatre numéros, tirés sur velin de choix : ainsi nous vous accablerons d'une édition par semaine.
Comme l'a dit Déroulède, la valeur n'attend pas le nombre des années et nous valons un prix inestimable, puissions-nous conserver franchise et gaieté ces caractères de l'immortelle jeunesse. Au reste, c'est ce que nous vous souhaitons chers abonnés, car sans notre gaieté, où serait votre joie.
Lisez-nous, aimez-nous comme nous vous aimons et mangez des haricots avec du vinaigre l'été, c'est fort rafraîchissant.
Au cas où vous auriez à nous correspondre, notre exquis collaborateur "Brin d'amour" vous documentera sur les sujets qui font votre intérêt.
Saluez votre concierge et bonjour à vos chéris
PS Si vous avez des coliques néphrétiques, adressez-vous à Monsieur ---- cave à louer---- les produits de ce célèbre vétérinaire sont connus et appréciés.
Autre PS Quand vous vous serez tordus de rire, mettez-vous sur une corde et séchez.
La Corporation
Fable écrite par Bur-Bis (Fernand)
Une oie, ayant pondu deux oeufs,
Le lendemain vit de ses propres yeux,
Le nid saccagé,
Et son produit gobé,
Mais il était écrit
Que pour ses frais,
Elle pondrait,
Obstinée,
Elle répondit, Et atteignit
L'Empyrée
MORALE :
(tout à fait nécessaire)
Petit à petit, l'oie-z-haut fait son nid
Guignol et les grand écrivains (de Brin d'Amour alias Gustave Charlier)
Depuis longtemps nous avions l'intention de consulter sur notre oeuvre, son opportunité et sa réalisation quelques-uns de nos grand écrivains. Une occasion superbe vient de s'offrir à nous, de commencer brillamment cette série de consultations. Un des maîtres du spiritisme contemporain, notre ami le savant docteur Papon s'est mis gracieusement à notre disposition pour consulter par le moyen d'une table tournante, les grands artistes littéraires du passé. Nous avons le joie d'offrir aujourd'hui à nos fidèles lecteurs cette lettre que nous adresse un des plus grands poètes de tous les temps, le génial Victor Hugo.
À MM. les compagnons du Guignol en bois de Tilleul
Vous êtes l'avenir qui vient ; je suis le passé qui descend. De l'Étoilé où je siège, je suis vos efforts d'un œil obscur et lumineux. Visionnaire bouffon, homme protée, Guignol est un éclat joyeux et triste dans le rayonnement de l’Âme universelle. Il est le suprême anneau d'une illustre chaîne : Zoroastre, Platon, Carnéade, Jean le Troglodyte, Newton et Guignol. Or, Guignol est le plus grand, car Guignol rit. et son rire est l'écho prodigieux des grands silences de l'Histoire.
Continuez poètes – prophètes, à compléter Juvénal et Rabelais.
Victor Hugo, pour copie conforme, Brin d'Amour
Toujours de Gustave Charlier, mais signé de son nom, ce poème.
Vieux souvenir des heures grises
De calme paix si douce aux cœurs
Bercez de vos tièdes langueurs
Les âmes que l'angoisse a prises
Venez des lointains pays
Des mystiques paradis
Les lilas sont refleuris
Nous avons l'amertume aux lèvres
Nos larmes n'ont que trop coulé
Versez-nous l'oubli désiré
Des nuits de luttes et de fièvres
Espoirs déçus, trahisons noires
Destin mauvais, cruel amour
Voici le rêve de retour
Disparaissez de nos mémoires
Il vient des lointains pays
Des mystiques paradis
Les lilas sont refleuris
De Bis-Bur (Gabriel-Tristan Franconi) aux "Frères de la Corporation des compagnons du Guignol en bois de Tilleul"
Vous : les compagnons de ma vie enivrante
Vous, frères merveilleux du soleil et des fleurs
Et pères ou Guignol à la trogne amarante,
J'implore le pardon généreux de vos cœurs.
Car il me faut, ce jour, aller vers d'autres plaines,
Dans un autre climat causer à d'autres gens.
Non pas, chez Maria qui file la laine,
Ni chez une marquise acerbe aux indigents ;
Mais chez des favoris de la sainte fortune.
Compagnons du Guignol en vieux bois de tilleul,
Comprenez cet envol du condor vers les thunes ;
Et toi, Burbis, parrain dont je suis le filleul,
Pardonne ce départ vers des rives dorées.
Quand je retournerai près du Guignol, mon fils,
Posez tous sur mon front vos lèvres colorées
Ainsi que le soleil baise les fleurs de lis.
De Bisbur toujours : Mme Papelard et Mlle Tata
Madame Papelard, jadis pudique vierge,
Maintenant rude et lourde et rogue siège dans
Une loge où se lit cet avis menaçant
Qui fait pâlir les forts : "Parlez à la concierge"
Mademoiselle Tata-gueule en coeur présente
Pour vous charmer lecteur, une voix de contre-ut,
Quinze printemps, une vertu presque décente,
La bouche qui dit : flûte et son nez qui dit : =ut !
De Victor Morin (Brisson d'amour) : Confection et Collection
Enfin la Venus de Milo va pouvoir contempler l'Angelus de Millet. Pourvu que ce spectacle rare ne la convertisse pas en statue de sel, ce serait désastreux. Le sel est si bon marché, même encore aujourd'hui. Les parisiens n'auront donc plus besoin de se ruiner en achetant pour 1 sou des chromos et pour 0.95 des dessous de lampe artistiques, pour se remémorer ce fameux groupe des deux paysans en admiration devant un petite panier de pommes de terre qu'ils ont mis toute une journée à récolter. Le musée du Louvre (ne pas confondre avec les grands magasins du même nom) leur ouvrira ses portes et l'affluence des visiteurs sera même si grande qu'il faudra se munir de billets de faveur. On est prié d'adresser ses demandes à Mr Leygues. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Leygues NB : cet ancien ministre venait de toucher un legs de 12 millions de francs-or, d' Alfred Chauchard, richissime fondateur des Grands Magasins du Louvre) Ce brave Georges n'y verra pas d'inconvénient. il est habitué, d'ailleurs à distribuer des faveurs aux collectionneurs.
Donnons au collectionneur La Croix de la Légion d 'honneur
Car il est assez difficile d'être collectionneur. Ne l'est pas qui veut. J'ai connu un monsieur très distingué qui voulut s'essayer à cet art le pauvre. Il n'arriva jamais qu'à collectionner quelques rares vieux bouts de cigares qui traînaient par les rues. Il en est mort car il eut l'imprudence de les fumer. Il n'avait pas de quoi, que voulez-vous.
Chauchard, lui qui avait de quoi, nous a bien prouvé qu'il savait être collectionneur à ses moments perdus (pas perdus pour tout le monde heureusement). Qui n'a pas admiré, une fois dans sa vie, la ravissante petite pelouse, grande comme un mouchoir de poche (à 0.75 au Louvre) du château de Longchamps, proche d'un vaste hippodrome. le spectacle en est remarquable. Rien n'est plus touchant que cette exubérance de statues de toutes grandeurs. Un coq doré ( à toi, Rostand, mon vieux) joue à cache-cache avec un lapin qui cherche à en poser un à quelques vulgaires épagneuls devançant une demi-douzaine de dianes chasseresses qu'autant d'amours guettent. C'est remarquable en vérité. Et tout cela dans un mouchoir de poche. C'est un tour de force. Le marchad de confection était un artiste comme il n'y en a plus hélas !
Donnons au confectionneur La Croix de la Légion d'honneur.
D'Émile Gérard-Gailly (Paul Atim) :
Réflexion de Guignol, dirigée contre les astronomes et tous les vieux-majors (?) en général, un jour de soleil et de bourrasque devant la mer.
– Quand c'est au mois de mars qu'y fait ses cochonneries de giboulées, on dit que c'est parce qu'y descend des banquises de glace des pôles vers l'équateur, aujourd'hui qu'on est au commencement de septembre, c'est-y que ces banquises-là remonteraient de l'équateur vers les pôles ?
En mars 1911, FALO participe également au premier numéro du mensuel La Forge, Revue mensuelle d'Art et de Mise au point. Il fait partie du comité de rédaction, aux côtés de Maeterlinck, J.-H; Rosny l'Ainé, André Gide et bien d'autres. Il rédige un hors-texte et fait le dessin de la page d'accueil. Il semble qu'il n'y ait eu que 3 numéros de publiés...