Lettres d'avant la Guerre
Lettre sans date, écrite par Fernand de Tournai (1913 probablement)
Chère petite femme,
Le ciel était moins chargé que je ne le craignais... Il est vrai que je n'ai pas encore vu le grand patron... Je lui ai écrit une lettre – pelure d'orange, dont j'espère beaucoup. ici malgré les bouleversements contrariants du Cercle Artistique j'avais tout lieu de me réjouir de la marche des choses, l'article dont on a fait état n'est pas si féroce que cela, et la presse est maintenant à me congratuler pour Mons. On dit même que mon tableau serait le meilleur... Mais je n'en crois rien. Rapport à bourse, on dit qu'elle serait partagée, le fondateur président de cette bourse Destrée, aurait parait-il son homme, et c'est... Paulus, l'homme au caleçon.
Je suis allé hier chez (nom illisible), l'affaire est dans le lac, il ne peut plus en être question maintenant... on les dit un peu gênés à cause de grosses dépenses qu'ils ont faites. Demain je serai chez Dele...(illisible) où je flaire là aussi un contretemps. J'apprends que mon tableau Boeh, quoique en place honorable à Roubaix est mal placé dans un éclairage qui lui fait un tort considérable. Je commence à m'habituer à ces ennuis inhérents au métier. Je produis plus maintenant et je rencontre naturellement plus de difficultés publiques... C'est le sort de tous les artistes. On me dit que c'est M. Thonard (?) littéralement emballé sur Penmarc'h qui serait amateur de la Petite Fille au pain (toile de 1913 achetée par la ville de Mons). Ce sera une collection Allard que la sienne. Il faudra que j'aille à Liège absolument.
Cet après-midi je vais faire un paysage à Kain. J'ai fait hier toute mes courses et le temps est si beau que je vais en profiter, d'autant plus que Ponceau fait une exposition des artistes wallons et qu'il insiste pour avoir quelque chose, et je n'ai plus rien ! J'espère ma chère femme que cette lettre te trouvera en bonne santé, comme d'ailleurs je le suis... et fort sage en ce qui concerne le coude. Mère t'envoie ses bonnes amitiés, elle a préparé des petites merveilles pour le loupiot. J'ai vu des chaussons aussi. Tante Valentine, elle également t'a réservé une surprise, que de choses à te montrer en rentrant ! Acheté par tentation deux beaux rouets anciens dont facilement nous pourrons je crois en céder un.
On met la table et tu sais qu'ici on va manger à l'heure tapant tapée. Je te quitte en t'embrassant de tout mon cœur...un peu au galop mais si tendrement ! Tire les oreilles à notre bien-aimé. Encore mille baisers de ton Fernand qui t'affectionne.
Demain Roubaix et après-demain aussi. Lundi Mons, mardi Liège, mercredi Paris, peut-être !
Date du 30 mars 1914 (notée à la réception) (lettre écrite à Pâturages)
De Fernand à Juliette
Ma chère petite femme,
En même temps que ta carte porteuse de bonnes nouvelles, je recevais un bleu d'Adler aussi désagréable que possible. La jeune mère admise avec un n° 3, l'enjeu refusé. C'est la bataille. On avait rechigné l'année dernière, on proteste carrément cette année-ci. Adler me dit "refusé... pourquoi ?" Oui ! pourquoi ?
Est-ce le sujet qui a paru inconvenant pour l'hypocrite pudibonderie des gens ?... Je ne puis penser que ce soit la qualité de peinture, attendu que ce tableau était supérieur à l'autre, qui reçoit un numéro. Ceci est une aventure désagréable et je me demande comment arranger cela pour sauvegarder mon amour- propre si chatouilleux, surtout dans ses rapports avec les gens. Pour ce qui est en moi, c'est frais et intact et je n'en considère pas moins mon travail qui, tôt ou tard, se mettra de lui-même en valeur.
J'ai fait ici connaissance de deux sénateurs, l'un d'eux m'invitera très probablement à déjeuner un de ces jours. Il m'aime bien (je l'avais déjà vu) est n'est pas un vain prometteur. Je m'étonnerais fort que je ne reçoive un jour quelque effet de son intervention. J'entends aussi que Mme et Mlle Godefroid, mère et sœur du notaire, sont désireuses de leur portrait ; elles habitent Bruxelles et viendront dimanche prochain sans doute et comme j'ai remis miraculeusement trois études en vue du portrait- groupe, il se peut qu'elles se décident. ; moralité : deux mille francs.
Mais alors dans quel lointain notre installation à Penmarc'h !!!
Dès qu'il me sera possible j'accours à Tournai pour t'embrasser et couvrir de tendresses mon cher petit André. Sais-tu bien que dans ma nouvelle vie de bons dîners(?) d'allées et venues au milieu d'une large et riante cordialité, j'ai presque toujours le cœur affreusement serré de notre éloignement. Décidément je ne suis pas fait pour les ménages à la mode de Bretagne, toi là, moi ici.
Pout ta gouverne, si tu dis quelque chose en ce qui concerne mon salon, insiste bien sur le numéro qui m'a été donné... je ne t'ai rien dit de l'autre, mais tu sais que rapport au sujet représenté, j'ai jadis montré quelque inquiétude, ce qui est vrai... Tout au début en effet j'ai failli renoncer à l'exécution de ce tableau en vue du salon... sa place serait à la Nationale ou aux Artistes Français dans dix ans - ils l'auront d'ailleurs plus tard. Embrasse mère de ma part...Est-ce qu'elle est mieux portante ? Je te quitte ma chérie, non sans me plaindre un peu du temps si court que ta carte m'a pris pour la lire. je t'embrase tendrement et te charge de mes bonnes pensées affectueuses pour tous. je suis ton poulet qui t'aime.
Fernand
Lettre écrite sur papier à en-tête de l'étude de Me Jules Godefroid, notaire à Pâturages avec date rajoutée du 27 mai 1914
De Fernand à Juliette
Ma chère petite femme,
Bien arrivé, déjà au travail et au bon travail : ça va marcher comme un seul homme. J'aurai fini, comme je me le proposais, dans le courant de la semaine prochaine. Le temps mauvais empêche d'ailleurs toute tentation de ballades près de mon modèle.
J'ai quitté assez précipitamment la maison et suis allé vous dire trois fois au revoir : il me paraissait avoir oublié de le dire...et c'est à James que je n'ai pas serré la main. Qu'aura dû penser ce brave ami ? Et notre charmant Nounou, comment se porte-t-il ? Je t'embrasse dans le cou à une place qu'il connait bien et qu'il me présente toujours quand il vient faire câlin dans le grand lit, trouve la !
Et les leçons de gymnastique, vous sont-elles profitables, n'êtes-vous pas trop fatiguées ? Je suis convaincu qu'elles vont vous faire à toi et à mère le plus grand bien. (...)
Tu trouveras dans le premier tiroir de la commode un bout de ficelle terminé aux deux bouts par un nœud. Prends cette dimension avec beaucoup de soin (d'un nœud à l'autre) et envoie- la moi. A moins que tu n'écrives ceci immédiatement à Lamorelle : "Monsieur, j'ai besoin d'un cadre (N.B. dessins et indications). Veuillez aller voir au salon le tableau ovale ou rond de M. Domergue et vous en tenir, pour mon cadre, au genre de celui-là. Ce cadre doit être particulièrement soigné. Je compte sur vous tant pour me faire quelque chose de bien que pour le recevoir sans faute endéans les quinze jours, 49, rue du Château à Tournai."
Voilà ce que tu pourrais écrire à Lamorelle en lui demandant réponse.
Maintenant je te quitte ma chère femme et t'embrasse de tout mon cœur. Je te charge de mes bons baisers pour mère.
Au galop, ton Fernand qui t'affectionne
Datée de "juin 1914" à la réception (lettre écrite à Pâturages)
De Fernand à Juliette
Je viens de voir l'administrateur du Touring-Club. Il reste encore une place ou deux pour l'excursion au Congo. Départ le 23 juillet à La Rochelle. Coût 3.000.- francs et probablement quelques frais qui ne s'élèveront pas à plus de mille francs. L'acte d'acceptation est prêt à signer sous ma main. J'ai demandé quatre jours de réflexion. J'attends ta réponse. Le voyage dure deux mois et huit jours. Certes, il me fait gros cœur de vous quitter toi et notre chéri, mais la liste des partants est si grosse d'avenir que je me demande s'il ne serait pas fâcheux de laisser passer une aussi belle occasion de me faire quelques relations en Belgique tout en jouissant d'un voyage unique. Malgré tout, je m'en tiendrai à ta décision. Pour les vacances, voici comment nous pourrions nous arranger : louer quelque chose à la campagne, soit dans les Ardennes ou autre part. Je reste avec toi durant un mois et demi, mère, Jeanne et Lucien au choix (ton choix) viennent me remplacer. Qu'en penses-tu ? C'est une proposition, rien de plus. Entre nous, je pense que mère, qui est si gentille en somme pour nous, qui adore notre André, serait bien aise qu'on la tire un mois du trou tournaisien. Je ne t'ai rien dit, mais la commande nouvelle est belle, le portrait du petit pour Madame Godefroid, il fera pendant à celui de Mademoiselle et sera payé probablement le même prix... réjouis-toi. (...)
J'écris de cette plume à César (note : le frère de sa mère, César Lagage), il faut que lui aussi me donne son assentiment, tu comprends. Bien que la santé des voyageurs ait toutes les sauvegardes possibles, que toutes les mesures soient prises en vue de faire une excursion sans danger, il y a toujours les périls de mer auxquels il faut songer. Donc, j'écris à César... Brûle cette lettre et commente-là sans la faire lire... sauf à Mère si tu le juges bon. Mère a d'ailleurs bien voulu être dans mes souhaits dès les premiers mots de cette affaire. Je t'embrasse de tout mon cœur et attends ta réponse qui ne doit pas tarder... non pas une réponse en l'air, mais exprimée par un oui ou non, quelque soit la réponse je m'y tiendrai.
Encore mille bécots et bien des choses affectueuses à mère.
Ton Fernand
Série de lettres écrites fin 1915 et début 1916, Juliette est allée aider Georges et Marguerite, qui doit accoucher. (Qui sont Georges et Marguerite ?)
Mercredi 29 décembre 1915
De Fernand à Juliette
Ma chère Juliette
J'ai résolu de dégorger ma correspondance en retard aujourd'hui et c'est par toi que je commence, après t'avoir écrit le matin même !
Drôle de façon de gagner du temps, hein ? Mais toi, c'est toi. Quel vague à l'âme aujourd'hui ma pauvre amie. Il flotte dans l'air tiède je ne sais quelles rumeurs de printemps et si ce qui était si bon jadis doit me faire ainsi pour le restant de ma vie je veux bien me passer des troubles printaniers et du printemps lui-même. Je me querelle d'être ainsi, je me rassure, je me convaincs qu'à quelque chose malheur est bon, puisque tu m'as dit que tu m'aimais mieux que jadis... qu'avant... cependant je suis ainsi,le cœur battant et dans un trouble infiniment pénible... cet état larmoyant doit t'agacer à force, sinon te raser et je m'en veux du ton que prend cette correspondance... et c'est un pâle, bien pâle reflet de mon état d'esprit. La vérité est que tu devrais être là, près de moi dans le grand fauteuil vert et à cette minute précise je te donnerais l'occasion de dire : Dieu que tu es embêtant quand tu ne sais pas quoi faire... Quoi faire ? Ah ! Si ! Que je saurais quoi te faire, mais ferme ça poulet, tu vas t'exciter inutilement et peut-être exciter ta veuve, qui là-bas comme Ré... (illisible) a sous la main... Quel polisson !... Que ça ne t'arrive pas. Zul ! Il me faut des réserves amoureuses pour ton retour. J'entends dire que tu dois me revenir émue comme une biche, chaude comme une caille, égrillarde comme une grive et amoureuse comme une chatte ou sans cela ! Gare ! Est-ce qu'il y a place pour deux dans ton dodo là-bas ? ... Je pense à cela parce que je termine une série de cartes que j'irai présenter dans une semaine et que si je la vendais, dame ! Je prendrais peut-être un train demain ? Dieu ! Que c'est donc bête de se livrer ainsi amoureux et stupide à une femme ! On ne peut pas lui tendre mieux tout ce qu'il faut pour la fessée. Oui, oui, je sais tout cela, mais moi c'est moi, et si je suis gauche ce n'est pas tant par bêtise que par volupté d'être en dessous. Tiens réfléchis à ça et dis moi si tu devines ce demi-aveu. J'attends madame, dorénavant que vous m'écriviez la première et de telle manière que je sente une parcelle de votre âme près de moi. Dans une prochaine lettre je te dirai la petite combinaison que nous complotons Berloque et moi... N'aie pas le trac ce ne sera pas encore la fortune § Tchamant Nou vient de rentrer de promenade, frais et rose comme une petite garce, il ne cesse de moustiquer Hiine Jiine T'aiime... qui le menace d'une fessée qui ne vient jamais.
À quand l'accouchement ? Supplie Marguerite de "hâter le mouvement pour que ça vienne". J'ai envie de toi ne serait-ce que pour t'embrasser tendrement comme je le fais ici en pensée.
Fernand
Sans date
De Fernand à Juliette
Ma chère petite Juliette
J'ai bien reçu ta première et ta seconde lettre d'après l'heureux événement. Sois l'interprète près de Margot et de Georges de mes sentiments à ce propos, en dehors de mes compliments dis leur toute ma joie d'avoir appris que tout s'était bien passé : Ce n'était pas sans une vague appréhension que chacun attendait le résultat. Il est obtenu, toutes mes félicitations à la maman et au papa avec mes vives amitiés ! J'ai bondi, dans mon pucier où je prélassais ma flemme le deux janvier en te lisant... un mois ! encore un mois ! Et aller te voir avec Nounou ! Je ne vois pas cela comme toi. Oui c'est un déménagement complet de toute la maisonnée et je ne puis le faire en raison de ma chasse à pécunes, ou c'est un aller et retour avec les aléas et les dangers de la saison pour Nounou légèrement enrhumé d'ailleurs. Il reste deux combinaisons : moi seul et ce n'est qu'une partie de plaisir pour toi ou encore une petite vacance de deux ou trois jours que tu prendrais. j'opine pour cette dernière combinaison. Ce serait un repos pour toi et de la joie pour nous. Pour arriver à cela, tu choisirais un moment où Georges pourrait demander un congé de deux ou trois jours at après que les moments difficiles de la malade seraient passés. Tu dégoterais bien une voisine ou une femme de ménage pour te remplacer. Qu'en penses-tu ? C'est la santé de Nounou et aussi ton plaisir complet que j'envisage en te proposant ceci. Réfléchis et vois s'il y a moyen de tout arranger comme cela. Je te laisse à deviner avec quelle joie j'irai te chercher à la gare.
Je m'inquiète que tu me dises qu'une lettre à dû s'égarer. Je te disais dans cette lettre que j'ai regretté une fois partie (et à cause de mes sentiments violents en l'écrivant) que M P...(?) avait eu connaissance d'une lettre de Mr Scamp (?) où il était dit que S. était une victime ( détournée du droit chemin par une femme indigne de lui. Marg P. exprime la certitude que cette opinion provient de S. lui-même décidé maintenant à se cantonner dans cette attitude. Je crois qu'il est assez visible maintenant pour tous les gens d'esprit et d'hommes que c'est lui qui était indigne de n'importe quelle femme.
Tchamanou a été gâté, Blebleu lui a apporté une automobile et frénésie des frénésies Morin lui a donné un je de cubes. Morin est venu diner avant-hier, il a laissé pousser sa moustache et dédaigne le ramenage (?) savant qu'il faisait à ses cheveux. L'impression est qu'il a vieilli, ce cher ami. peut-être a-t-il fait les mêmes réflexions à mon propos et sans rien en dire.
Je t'embrasse de tout mon coeur de poulet aimant. A demain de poursuivre cette conversation, je t'aime
Fernand
Lundi 8 janvier 1916
De Fernand à Juliette
Ma chère petite femme,
Nounou est allé néné meniquet (?) avec Hoïne et comme le jour baisse j'en profite pour bavarder avec toi.
Bonne surprise ce matin, ta lettre : je ne peux te dire mon petit vieux comme je suis heureux quand je te lis. Éprouves-tu le même plaisir ? Je m'obstine à croire que tu ne pourras plus rester quinze jours sans nous voir et si par économie tu renonces à la vacance, je suppose que tu abrégeras ton séjour là-bas. Cette dernière manière ne serait pas pour me déplaire si elle n'offre aucun inconvénient pour ta malade.
À propos de malade, il faut que tu m'envoies par retour l'adresse exacte de ton dentiste. J'oublie à chaque lettre de te la demander et cependant dieu sait que je suis endommagé du côté chicots en ce moment. Sais-tu que je grignote et ne mâche plus à force de remettre, de remettre, les deux côtés de ma bouche sont en aussi mauvais état et me font souffrir. J'espère que tout sera fini pour ton retour et pourrai-je ainsi t'offrir une fine gueule.
Nounou rentre et débute par un to-cola impérieux qui laisse à deviner que je ne serai plus longtemps tranquille.
Ce ne sont que des petites choses que j'exposerai à Monte Carle. Le choix est fait définitivement. C'est d'abord "la ferme Auzou", puis trois petits panneaux, la baie de Fécamp et les 2 maisons Gian (??) . Si je vends tout au dernier prix cela nous fera 1750 fr mais n'aies pas l'trac... Cependant l'être collant retord et vaniteux qui est venu hier et organisera le salon prétend qu'il aura des ventes grâce à ses hautes relations et aussi parce qu'il a fait le "sacrifice d'un charmant petit tableau qu'il a offert au secrétaire du sporting et vous comprenez qu'avec un cadeau pareil !!..." Dieu ! Que je commence à détester les gens !
Je me suis absenté vingt minutes pour aller chez l'encadreur ce matin, sur ce temps un Mr Barbu et ressemblant à Mr. Villain est venu me demander et n'a pas laissé son nom. Quel est ce mystérieux personnage ! Comme c'est énervant et mystère de New York !!! Et nous ne sommes pas allés au cinéma la semaine dernière ! Robert a employé son lit ! Il m'a dit ce matin qu'elle l'avait embêté et qu'il lui avait dit "on s"débine".
Pas méchante cette lettre, hein ? Puisse-t-elle ne pas trop te raser et ainsi elle aura atteint son but qui est de parloter avec toi que je voudrais si près. Je cherche la façon d'exprimer un (?) pour terminer cette lettre
Fernand Allard L'olivier
Ligne de ratures : c'set très laid mais je t'aime mieux que ça.
Jeudi
Ma chère Juliette
Je suis dans un état impossible. Tu m'écris des cartes brèves au moment où j'aurais besoin du meilleur des secours moraux, celui qui vient d'une femme d'une âme sœur destinée à souffrir ou à jouir avec vous de la vie. En même temps je reçois une lettre de Mary Poutrain et dont je copie un passage qui t'édifiera sur les ressources que nos ennemis ont en main. C'est en mieux ce que je prévoyais.
"J'ai correspondu avec un certain Mr Scampes (?) quand on s'affolait de ne rien recevoir de S. et dans une lettre j'ai parfaitement compris que le S. en question se faisait passer pour une blanche victime détournée du droit chemin par une femme indigne de lui !". C'est fort bien !.. Mais moi ? et Nounou ? Robert a été témoin voici quelques heures d'une fureur affreuse qui m'a prise... ne pouvoir rien ! rester muet sous peine de se couvrir de honte ou de ridicule et laisser passer filtres (?) à droite à gauche le sale venin dont un jour je serai piqué... Nous serons piqués... car c'est toi qu'on atteint et c'est moi qui suis touché.
Malheur à tous ceux qui ne se serreront pas étroitement près de moi et à toi la première Juliette si un jour tu trahis même en pensée la foi que je veux coûte que coûte remettre en toi. Je te le dis, malgré les terribles souffrances que j'ai ressenties par toi et que je ressens encore je suis à toi. Je suis ton homme, comprends bien cela et pour moi tu dois avoir un sentiment égal en grandeur à celui qui me fera rompre avec quiconque voudra t'atteindre. L'ère des cartes postales est passée, il me faut mieux, il le faut entends-tu... J'ai besoin après tout du réconfort moral d'être aimé par quelqu'un et d'une façon absolue. Faute de quoi... faute de quoi je deviendrai le vague type pour qui les choses de la vie comptent autant que la fève du gâteau des rois.
Peut-être ma lettre ne te fera-t-elle pas plaisir. En ce cas tu aurais tort car elle est d'un mâle qui entend l'être plus demain qu'aujourd'hui. Je t'embrasse de tout mon coeur déchiré par cette sale journée.
Fernand
je suis allé au cirque avec Nounou et ce furent deux bonnes heures où j'ai joui de son plaisir en m'oubliant un peu. Amitiés à Marguerite et à son mari. Valentine serait au Vesinet me dit Louisa, Hôtel Mondial m'écrit Mary Poutrain. Sur ces confidences de Mary le secret doit être absolu et la chose se comprend.
Sans date
Cher Ptico,
Dimanche ! Encore un sans toi, le dernier dieu merci. je suis comme une âme en peine. Je travaille, me fais les ongles, je fume. Je suis sans courage. Je me proposais cependant d'abattre des monceaux de mon insipide et inutile besogne : le cœur m'a manqué. Encore aurais-je dû prendre notre Nounou par la main et aller le promener par le soleil splendide. J'ai préféré lui faire des culs par dessus tête au grand dam de mon estomac, mais à sa plus grande joie, à lui l'unique. Tout le monde le trouve changé à son avantage et je suis bien curieux d'avoir ton impression. Comment avoir la fringale d'affection que j'ai pour sa blonde tête ? Je me le demande... Je le presse, je le pétris, je l'embrasse, je le mords. Tout cela ressemble fort à de l'inceste et il est temps que la maman arrive pour lui donner le surplus "impossible". Qu'est ce que tu vas prendre mon gros boulot ! Ne me reviens surtout pas avec nos alliés, je ne te le pardonnerais pas. C'est un cahier neuf d'amour que je vais ouvrir, et je prends plaisir par avance à la cour assidue que je vais te faire, aux câlineries, aux cajoleries que je te ferai sous condition secrète de me les voir rendues en mieux. Malgré les gros ennuis qui noircissent un peu tous les jours, il nous reste je crois pas mal de bonheur sur la planche, et n'y en aurait-il plus du tout que j'en confectionnerais pour m'illusionner et me donner l'essentiel ainsi qu'à toi, ma chérie.
Je suis allé chez Thibaut qui m'attend lundi pour me présenter à un journaliste belge de L'Indépendance. Malheureusement... j'eus préféré un journaliste clérical. Celui-ci ne pourra rien pour moi j'en ai peur et il faudra que je m'oriente autrement. Blebleu est sur le point d'entrer à la rédaction de l'Intran (https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Intransigeant) Il porte déjà les attributs de sa profession, en l'espèce une paire de ciseaux à bouts arrondis pour la poche.
Robert est allé chercher un do profond pour la cithare, que nous sommes allés extraire de sa cachette. Ainsi nous allons recommencer les duos de légendaire mémoire mais où l'un des facteurs (pourquoi pas sabotier ?) était Morin. Malgré notre discrétion le paquet de crottes de madame Durand s'épuise, il est grand temps que tu reviennes si tu veux en déguster. mes félicitations à la très catholique marraine... ma chère vous êtes tout à fait dans le mouvement. il ne vous manquera plus au retour qu'une jupe arrivant au nombril au grand maximum... Ainsi vous ferez bonne figuration dans notre prochaine révolution qui contrairement à l'autre sera catholique et aristocratique. Je lis que Mr Clemenceau songe deux ou trois mois après ton serviteur à un comité de salut public... Il ne se doute vraisemblablement pas où cela le mènerait lui et ses amis radico-socialo-stratégo-malvy-cailliste (https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Malvy et https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Caillaux) . Bon voilà que je fais de la politique maintenant et ce qui est pis sans la moindre conviction.... Je suis dans les trentièmes dessous. Au secours ! ... Au secours !... Reviens vite... Il y a quelqu'un à sauver ici. Je t'embrasse de tout mon cœur ma petite infirmière que j'adore.