Juin-Juillet-Août 1916

 

Textes et lettres de 1916. Textes intégraux non modifiés, y compris pour l'orthographe et la syntaxe. Les mots illisibles ou noms propres non reconnus sont suivis d'un(?).

Sans date

De Maurice Des Ombiaux à Fernand 

Cher Monsieur,

 On m'a promis que l'on s'occuperait de vous. Vous serez sans doute attaché au service cinématographique où vous serez mieux que dans la pétaudière du camouflage. Vous savez que, dans la vie, même quand on a le droit pour soi, on n'a jamais tout à fait raison. Je crois que les camoufleurs ont été serrés de près. Pour se défendre, ils ont dit que vous n'étiez pas facile à vivre. Mais tout cela n'a pas d'importance du moment que l'on vous envoie au cinéma. Dites-vous bien que sans l'amitié que l'on a pour moi à S.P.B., il n'y aurait rien eu à faire pour vous. Ne concevez de cela aucune amertume, c'est la vie même. Si pendant votre congé forcé vous aviez pu venir ici sous prétexte de ?? vous faire quelques relations, cela vous aurait beaucoup servi.

Cordialement à vous.

 

Sans date

De Maurice des Ombiaux à Fernand

Cher Monsieur,

Je me suis ravisé et j'ai fait la note moi-même d'après la vôtre et la mienne. Comme cela, vous n'intervenez pas personnellement dans le débat préliminaire. J'ai vu quelqu'un de St-Pierrebrouck à qui j'ai raconté la chose dans le détail. Je crois bien qu'il y aura une enquête. Je ne peux vous en dire davantage ; mais ceux qui considéraient l'affaire comme terminée par votre départ pourraient avoir une grande déconvenue.

Cordialement à vous.

 

Sans date 

De M. Des Ombiaux à Fernand

Cher Monsieur 

On me transmet le papier ci-joint, règlement du service du s/l. Horlait. Il n'y est plus question de subvention.Je crois que vous feriez bien de vous mettre en rapport avec le s/l Horlait, l'art. VI pourrait peut-être tout arranger. Votre lettre au G.R.S. est tout ce qu'il faut.

Bien cordialement à vous.

 

Sans date

Du même au même

Cher Monsieur

Je suppose que vous allez recevoir d'un moment à l'autre votre ordre de marche. Je comprends votre impatience, je suis comme vous, elle me crée souvent aussi des chimères. Votre engagement n'a rien à voir avec les bureaux du Havre. Vous recevrez une lettre de St-Pierrebrouck qui vous dira tout ce que vous devez faire. J'ai eu hier la visite de notre caricaturiste Oelys (?), qui est venu faire ma tête. Ainsi j'ai de temps en temps la joie de me retrouver dans une atmosphère d'art.

M. Neuray, directeur du XXe siècle, a beaucoup admiré le dessin du Ma (?? illisible)
Bien cordialement à vous.
P.S. : J'arriverai à Paris lundi, vers 11 h., à Saint-Lazare. N'y viendriez-vous pas ? Je sortirai par la sortie principale, c'est-à-dire que je longerai la galerie du Terminus.

 

Sans date

Du même au même

Cher Monsieur,

Je n'ai encore eu aucune nouvelle de St-Pierrebrouck. Mais le s/lieutenant Horlait, à la suite de la recommandation du Major Lefèbvre, demande à vous avoir dans son service. M. Horlait m'a écrit, je lui ai répondu que j'appuyais sa demande de toutes mes forces. J'attends une lettre de lui. Qui est le major Lefèbvre ? En avez-vous entendu parler ? J'attends votre réponse avant d'écrire à St-Pierrebrouck.

Cordialement à vous.

 

Sans date 

Du même au même

Cher Monsieur,

Voici les documents que l'on m'a renvoyés de Saint- Pierrebrouck. Comme je pense que vous recevrez votre ordre de marche après que votre engagement sera accepté, vous pourriez peut-être passer par le Havre. Inutile de vous dire que je serais enchanté de vous voir. Nous parlerons du tableau. Vous pourriez vous entendre avec Mathieu (?) qui, n'étant pas peintre de figure, serait peut-être très content d'une combinaison à deux.
Je vous remercie vivement du dessin rehaussé qui est déjà à mon mur. Ce sera pour moi un beau souvenir. J'ai aussi profité de l'offre que vous voulez bien me faire, car vos petites peintures sont charmantes. La saveur du premier jet y est très grande.
Très content d'avoir pu vous être utile, je suis votre dévoué.

 

Le 18 juin 1916
M. Paul Lambotte, directeur des Beaux-Arts (Ministère belge des Sciences et des Arts) à Fernand 

Monsieur,

Votre lettre du 12 me rejoint à Londres où je me suis réinstallé depuis le 2, après mon déplacement à Paris. C'est à Londres qu'est le centre officiel de l'Administration belge des Beaux-arts, pour la durée de la guerre.
J'ai été heureux de répondre aux désirs que M. Albert Mockel m'a fait connaître et de vous rendre justice en plaçant de vos œuvres à notre exposition G. Petit.
Il n'est pas très certain que cet ensemble d'ouvrages belges circule encore, mais peut-être cependant ira-t-il en Espagne (Saint-Sébastien/Madrid/Barcelone ?) vers l'automne. A tout hasard, vous pourriez confier à M. Dommartin, qui me remplace à Paris, quelques toiles à joindre à la collection dont elles suivront la fortune. Mais il n'en faudrait pas trop - ni de trop grandes - l'espace dont nous espérons disposer à Saint-Sébastien et à Madrid étant fort restreint.
Je regrette de ne pouvoir recevoir votre visite et de faire votre connaissance autrement que par correspondance.
L'adresse de M. H. Dommartin est rue Dufrenoy, 17, Paris, XVIe. Croyez...

11 Juillet 1916

Du lieutenant Horlait à Fernand

Mon cher Allard,

Je reçois votre mot. C'est moi qui ai fait la première démarche pour vous avoir, par des Ombiaux. Ce dernier m'a répondu en avertissant le major Selingman, qui vous attend. J'ai vu le major hier et il s'étonne que vous ne soyez pas encore ici. Si vous n'avez pas votre ordre de marche, rendez-vous à la Place de Paris, qui a dû recevoir avis. Si pas, le Commandant téléphonera ou télégraphiera au major Selingman afin de pouvoir vous envoyer sur le G.Q.G., lequel vous versera de suite à mon unité. Vous devez amener votre matériel complet, car il n'y a rien ici, pas une toile, ni une boîte de couleur. Vos confrères s'arrangent isolément, car ils sont libres et sont toujours sur le front, de droite et de gauche. Vous pouvez amener vos deux uniformes (kaki) : un pour le travail, l'autre pour les jours de repos.

À bientôt j'espère et croyez... (Une photo de vous est nécessaire pour le permis.)

 

22 juillet 1916

De Fernand à Juliette à Aix-en-Provence

Mon cher petit Gurgoulot 

Quelques mots hâtivement ; il y a tant à voir et tant à faire pour rattraper les autres. Jusqu'ici j'ai circulé partout ou plutôt un peu partout avec Horlait et j'ai vu hier un coin où sans doute je me fixerai pour quelques temps. Comme c'est assez loin d'ici et isolé, il se peut que mes lettres ne puissent te parvenir. Ne t'inquiète surtout pas, je serai à la dure mais parfaitement bien et à l'abri. J'ai rencontré hier le Ct Lemercier dans son secteur. Ce qu'il était hier et ce qu'il est aujourd'hui, c'est le jour et la nuit. Son amabilité a été jusqu'à m'inviter dans sa cagna et au mess des officiers. Notre section quoique faite de soldats est ainsi traitée partout parait-il. 

Et toi comment vas-tu ? Et Tchamant Nou ? Vous occupez toute ma pensée au travers des mille choses énormes, nouvelles, qui envahissent mes yeux. J'en ai vu des villages ravagés et des villes ! Mes croquis te diront ce que c'est. Mille amitiés aux bons amis chez qui tu es. Écris-moi, ton arrivée et les mille choses précieuses vous concernant. Je vous adore et vous embrasse de tout mon cœur. 

Fernand 

 

2 août 1916

De Fernand à Juliette 

Ma chère petite femme

Je suis rentré au repos après un séjour de huit jours sur les lignes. je m'attendais à recevoir un monceau de lettres me donnant mille détails sur votre vie dont ma journée était sans cesse occupée. Je trouve fort dieu, trois enveloppes contenant quelques mots assez hâtifs et tu ne trouveras pas mauvais que je m'en plaigne. Les premiers jours passés ici ont été, je te l'ai dit, fort surchargés : il fallait que je m'oriente et j'ai visité en auto et à pied pas mal de lieux intéressants. Vivement j'ai été fixé et me suis décidé pour un endroit fort caractéristique où j'ai partagé avec les occupants les aléas de la vie, les petites misères de la guerre et aussi ses charmes, parmi lesquels la bonne camaraderie et l'insouciance. J'ai travaillé comme un nègre et tu trouveras ci-joint une photo qui en fait foi. J'ai l'air, là-dessus, de gratter dans l'atmosphère la plus guerrière, mais si la photo pouvait reproduire les bruits, tu te rendrais mieux compte de l'étrange poésie du lieu. Cette photo a été faite par le lieutenant, un ami de huit jours, car ici c'est un peu comme une villégiature, les amitiés se font vite. J'ai sur moi une preuve de la chose, car avant mon départ, le commandant et son premier lieutenant m'ont remis tous deux leur photo en témoignage de sympathie. J'ai d'ailleurs mangé à leur table... par exemple j'étais logé dans un trou de chèvre avec, pour toute couche, une botte de paille où je dormais, ma foi, fort bien, tout habillé. Je sais beaucoup de choses que j'ignorais et plus tard je pourrai donner des distractions à Tchamanhou en imitant le bruit des sept-cinq, des dix-cinq ou de tout autre projectile au départ, sur la route ou à l'arrivée. Il fait un temps magnifique à moins qu'on ne bombarde fort : alors les nuages de fumée qui flottent longtemps jusqu'au ras du sol s'élèvent au moindre vent et le ciel se couvre. j'ai vu la chose au duel d'artillerie qui a dû être signalé dans le communiqué belge. je dis, qui a dû être, car il y a longtemps que je n'ai pas ouvert un journal. J'ai pour cela l'esprit trop absorbé et par ce que je vois et par vous, chère petite famille que je regrette à tout instant. 
À mon retour ici, une surprise m'était réservée : notre aimable commandant avait préparé une villa pour sa section. Chacun de nous y a une chambre, qui servira d'atelier. Ainsi, au repos, nous n'aurons plus l'ennui de voir nos boulots chambardés dans les hôtels. Pour ma part, j'ai une grande chambre assez luxueuse attendu qu'elle est meublée comme en temps de paix et que le proprio s'y entendait pour le confort. 

Je suis fort curieux de savoir comment tu es logée mon petit, tu me parles d'une maison ? Serait-ce une bicoque entière ? Dis-moi cela, donne moi des détails, fais m'en la description afin que je puisse vous voir en pensée. Même si Henri pouvait photographier cela ! 
Je ne sais trop comment les affaires marcheront. La section est parfaitement organisée, nous sommes peintres et l'accueil de mes confrères a été charmant. Je crois même qu'ils ont apprécié le monceau de documents que j'ai rapportés de ma première expédition. Pour l'instant, nous ne sommes plus que deux ici, les autres, réunis tous le 31, ont déjà repris leur vol et sont aux quatre coins des lignes. Je compte être ici jusque lundi prochain et je t'écrirai journellement. Le long temps que j'ai mis à le faire est tout expliqué par ma lointaine retraite de ces dix derniers jours. je crois pouvoir cependant m'organiser de manière  écrire et à recevoir des nouvelles en tous lieux à un prochain départ...Ne prends donc pas prétexte de mon éloignement pour manquer de m'écrire, j'en souffre vraiment trop. Petit à petit je te mettrai au courant des tas de choses qui m'emplissent et que je n'arrive pas à exprimer. 

Je vous embrasse de tout mon coeur. Je vous aime tendrement, chers deux. 

Fernand

 

Mon petit Nounou chéri, je t'aime. Je t'adooooooore et tu es mon Bien-Aimé et que (?) je reviendrai, je te ferai des (?) et toutes sortes de belles choses. En attendant voici la Lûnê-neu (petit dessin) 

Ci-joint une fleur cueillie dans la bagarre et cueillie à votre intention. 

Ne fais pas lire mes lettres je suis abruti et ne sais comment j'écris. Donne-moi ta nouvelles adresse. Madame Durand est-elle arrivée ? fais-lui mes amitiés ainsi qu'à Henri, Jeanne et Yvonne. 

 

4 août 1916

De Fernand à Juliette 

Ma chère petite Juliette

Tu ne me gâtes vraiment pas. Voilà trois semaines que nous nous sommes quittés et j'ai reçu en tout et pour tout trois lettres. cependant Tchamanou est loin de moi et la santé d'un enfant est une constante inquiétude et en ce qui te concerne si j'ai toute ma paix pour ta santé, je ne l'ai pas entièrement sur ta pensée. Ajoute à cela que la vie est précaire dans mes parages et qu'un accident peut toujours arriver. Y songes-tu ? N'aurais-tu pas quelque remords si un cas semblable se présentait. Tu m'objecteras que je suis resté moi-même sans rien te dire. J'avais mille raisons pour cela et la toute première l'énorme difficulté de les faire étant cantonné dans un endroit peu visité. De plus, j'aurais peut-être en bavardant éveillé des inquiétudes inutiles. La vie est si exceptionnelle qu'il est presque plus difficile d'écrire maintenant que quand on n'a rien à dire. Je te dirais telles choses que tu interpréterais soit en me croyant fanfaron soit en t'inquiétant, ce qui est pire. Et cependant, elles sont si naturelles toutes ces choses de guerre, et on s'y accoutume si vite ! Naturellement je parle en privilégié. Je dirais presque en amateur, car le vrai danger, celui-là je l'ignore. 

J'adresse cette lettre chez Henri, malgré que je te suppose installée maintenant. N'oublie pas de me donner ta nouvelle adresse. Madame Durand est-elle près de toi ? Si oui, fais lui bien mes amitiés. J'ai fait deux portraits, oui ma chère, un commandant, un lieutenant fils d'un général. je suis donc muni de galette pour un mois ou deux. Mais toi ? Il faudra que j'écrive à Blondel et je l'aurais fait si j'avais eu ta nouvelle adresse...car ce serait embêtant ne trouves-tu pas que H et J soient au courant de notre pauvreté momentanée. Et nous sommes imposés pour onze mille francs de revenus ! C'était ça la lettre recommandée. j'ai écrit dare-dare avec l'espoir d'une réduction. T'ai-je dit que nous avions ici quarante sous par jour . Comme j'en dépense cinq ou six pour faire comme les autres avec qui je mange au mess, ce n'est pas encore comme cela que je ferai fortune. La guerre va durer encore probablement. Je t'engage donc à la plus grande économie mais sans ladrerie. Dis ce que tu fais de tes journées, si Tchaman-Nou profite bien de son séjour là-bas, pense-t-il  son papa d'Afrique ? 

Je vous embrasse tous deux de tout mon cœur aimant et si seul malgré la bonne camaraderie qui m'entoure. 


Fernand

 

10 août 1916

De Fernand à Juliette -

Ma chérie, 

Je suis rentrée hier soir bien fatigué et tout à fait hors d'état de t'écrire. Ce que j'aurais voulu faire en réponse immédiate à ta gentille lettre. Non ne me crois pas contant fleurette mais plutôt à la besogne jusque là. Ne me crois pas non plus toujours dans les lieux de délices dont tu as entendu parler dans le train. Je voyage beaucoup rassemblant des notes faisant des études et mon bagage, ma récolte plutôt, est déjà impressionnante. ce soir, je t'écrirai plus longuement. Je suis enchanté de sous savoir bien installés et j'espère que si tu te trouves bien là-bas, tu y resteras quoi qu'il en coûte. L'argent se retrouvera plus tard, car notre petite corporation fermée se tiendra les coudes. En attendant, faut-il écrire à Blondel ? Je crois qu'il sera temps pour toi dis-tu ? pour ma part, je vis sur ce que j'avais et aussi sur mes portraits 2 à 150 faits au début. Il fait une chaleur torride et nous pourrions rendre des points à Aix je crois. Evidemment la vie ne va pas sans péripéties dont il est difficile de te parler dans mes lettres. Je ne m'explique pas que tu ne reçoives rien de moi. C'est aux Villani que j'adressais mes lettres jusqu'ici. Ci-joint tu trouveras une pauvre petite image trouvée dans le plus dévasté des villages à 400 m des Borhes (?). J'ai trouvé que c'était touchant, tragique et grotesque. Si tu avais vu la maison dans laqeulle j'ai trouvé cela ! je t'embrasse de tout mon cœur et quant à Tchamant Nou je le dévore littéralement. 

Bonne amitiés aux Villani, et à Marie...te plait-elle bien ? 

 

10 août 1916 

De Marcel Wyseur à Fernand (https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Wyseur)

Frères d'Armes

À Boitshouck (https://fr.wikipedia.org/wiki/Booitshoeke), en 1914, pendant la bataille
de l'Yser, au fort d'un bombardement intenable,
la 9ème batterie, sur l'ordre de son commandant,
fit halte pour planter une croix sur la tombe
d'un des hommes qui venait d'être tué."

En toute sympathie à F. Allard l'Olivier,
qui fit de cet épisode un tableau héroïque.

C'est en Flandre, là-bas, un soir lourd de bataille.
Dans le ciel labouré de tragiques horreurs
Coup sur coup les shrapnels, comme de rouges fleurs,
S'ouvrent en effeuillant des pistils de mitraille.

Torche au sanglant panache, un pauvre toit de paille
Crépite et, près la ferme aux lugubres lueurs,
Sous un dôme de feu vivant, des artilleurs
Ont figé leurs chevaux qui sonnent la ferraille.

Le chef, un Commandant, a dit : "Avant partir
Les hommes, nous avons un devoir à remplir..."
Et tel un mur d'airain, la batterie entière,

Pour qu'on plante une croix et dise une prière
Sur la tombe où repose un des leurs - un martyr -
S'entête à défier la Gloire de mourir !



Mon cher ami,

Je t'envoie ci-joint le sonnet que m'a inspiré ton splendide travail. J'ai été très heureux de pouvoir l'admirer et je suis certain de rallier à ce sentiment tous ceux qui le verront. J'ai trouvé cet après-midi dix minutes à moi. J'en ai profité pour te copier ce petit poème avant mon départ. Puisse-t-il te faire un peu plaisir.

Mes deux mains, cordialement.

 

13 août 1916

De Fernand à Juliette 

Ma chère petite femme,

Je reçois régulièrement de tes nouvelles, enfin ! Qui crie bien, tête bien. J'avoue que j'ai à ce propos quelque remords. J'ai été vif et tu me réponds par des tendresses. Serais-tu meilleure que moi ? Voici deux jours passés sans que je puisse prendre le temps de t'écrire. Je suis retourné au front et là, tu sais, pas une minute à perdre. Horlait me déclare enragé et malgré que presque tous ici soient actifs, je bats le record de plusieurs longueurs, je crois. Je peins par rafales, cadence cinq pour parler comme un artilleur. Le commandant, que j'aime bien, vient d'être cité à l'ordre de l'armée. Je suis allé le revoir et comme vont les choses en guerre !... la veille il avait reçu une dégelée d'obus et une petite maison que j'avais peinte placidement quelque temps auparavant et que je retournais voir par scrupule a été tout bonnement rasée. Je me fais de bons et braves amis ici et encore une fois je me demande ce que je serais devenu si je n'avais eu cette fringale d'être soldat. Bien entendu, ce n'est pas sans aléas et la nuit dernière encore j'ai maudit mon célibat. Au diable la vertu du soldat, j'entends celle qui consiste à être chaste parce que la petite femme désirée est à Aix. Je demande carrément la recette à Madame Marie...et si elle ne me la donne pas, je continue à prétendre que la "petite différence" (entre une femme et un homme) est beaucoup plus énorme qu'on ne le croit...dans les meilleurs moments. Demain, je suis invité chez l'ancien gouverneur du Congo. Je vais revêtir les dépouilles de mes anciennes splendeurs et camouflage et astiquer mes souliers, ce qui n'a pas été fait depuis trois semaines. La section des artistes se reconnaît par les pieds... malgré que ce ne soit pas là que siège le génie, que nous avons tous bien entendu.

Je me demande, étant loin de toi et de Charmant P'tiloup, comment je trouve encore à plaisanter. Ne crois pas que je sois comme un bonnet de coton. Ma tristesse est profonde et je ris bêtement à tout bout de champ du gros rire que tu connais. C'est que les artistes belges sont beaucoup plus drôles que ceux de Paris. Ce n'est pas un patriotisme chauvin qui me fait parler... J'en tire même des conclusions : la vie est beaucoup moins cruelle et moins âpre à ceux-ci qu'à ceux-là ! Et la vie de famille s'empare d'eux et s'honore davantage de les fréquenter en Belgique, où ils sont moins nombreux et plus connus. Comme par hasard, un marchand de La Panne vend les "Baigneuses surprises". C'est un copain qui m'a acheté cela et ça m'a un peu ému de me retrouver ici, à l'usage des cagnas de militaires. 

Je crains le climat pour André, ma chérie. Ces fortes chaleurs ne lui valent peut-être rien et le mieux serait me semble-t-il de consulter un médecin pour ses petites coliques. Il ne faut pas que Nounou se sèche. il a une bonne petite viande bien grasse et potelée et je serais désolé qu'il maigrisse même ! As-tu pris son poids au départ ? Si non, fais le de suite et repèse le dans quinze jours en m'annonçant les N°. vois-tu souvent les Villani ? Fais leur mes amitiés. Autant pour madame marie. pour toi, chère Juliette, mille baisers bien tendres, câlins et forts, pour Tchamanou, mon coeur de père tout entier. 

 

Fernand

15 août 1916

De Fernand à Juliette 

Ma chère petite femme

Quand je partirai demain, vers L... ce sera avant l'heure du courrier et voila trois jours que je suis sans nouvelles. Mon absence durera quelques jours cette fois, et je ne pars pas sans inquiétudes de rester si longtemps encore sans savoir comment vous allez. Évite, ma chère femme de me donner motif à rouspéter encore. je ne puis te dire comme cet isolement de vous me coûte. Enfin j'espère qu'à mon retour je trouverai un formidable courrier qui me consolera définitivement. ci-joint tu trouveras une fleur cueillie dans votre pensée à P...pauvre village, tristement célèbre et qui se trouve à l'extrême limite de la Belgique actuelle. Les fleurs poussent innombrables dans les trous d'obus et viennent mettre comme un baume de gaieté sur tant de tristesses amassées en blessures béantes. savais-tu que les tranchées s'illuminaient l'été d'une floraison inouïe de coquelicots à cause de quoi ? Mystère. 

Et comment va notre charmant coquelicot à nous ? N'a-t-il plus été repris de coliques ? Fais attention qu'il ne mange pas de fruits que tu n'aies contrôlés on me racontait tout à l'heure l'effroyable aventure d'un enfant qu'un guêpe avait piqué au gosier : la langue enfle et... 

Ce matin je me suis éveillé en tenant mon oreiller à deux bras et me suis rendormi volontairement en rêvant que c'était toi. C'était bon. Je t'aime et je t'embrasse. Couvre la tête blonde des baisers de son poilu kaki. Amitiés aux amis Villani et à Marie. Blondel t'a-t-il envoyé la somme en question ? J'embrasse encore ta chère bouche. 

Fernand

Sans date

De Fernand à Juliette 

Ma chère petite Juliette, 

J'ai repris ma paillasse à L. d'où je compte rayonner dans le secteur si mon infecte bécane me le permet. Hier, ayant fait la route heureux de ne pas avoir eu d'accroc, je me suis mis à la suite d'une pause à recoller des pièces à ma chambre à air pendant trois bonnes heures et ce matin encore levé avec les patrons... et les minettes je m'y suis remis pestant contre cette sale invention. enfin mon pneu a l'air de tenir et demain j'en ferai l'essai avec une certaine inquiétude cependant. Çà c'est la petite misère, la grande on en parle plus. L'habitude est prise et on sera tout désorienté quand la paix viendra avec ses libertés et sa quiétude. Mon rhume tient bon lui aussi et semble normalement descendre du nez à la poitrine comme d'habitude. Maintenant je sais à quoi m'en tenir, il remontera ensuite de la poitrine au nez pour recommencer le trajet quand le nez en aura sa claque. j'en souffre peu, c'est l'été, c'est simplement humiliant et assez incommode pour respirer. À part cela je peins à tour de bras des choses assez quelconques me semble-t-il où je mets cependant tout mon coeur et toute ma volonté de bien faire... Je te l'avouerais à toi seule, le petit nouveau dont nous avons un dessin me trouble un peu dans son travail. C'est un fauve qui fait des choses assez incomplètes mais toujours très neuves d'aspect. C'est la première fois que je suis troublé dans mes conceptions du beau. je compare malgré moi et si mes boulots sont plus complets ils paraissent tièdes à côté de la puissante flamme des siens. Peut-être cette guerre va-t-elle me faire évoluer. ne va pas t'effarer. Si j'évolue ce sera en meilleur. Et quand je reviendrai enfin aux sujets que j'aime et que je regrette tous les jours, je crois que j'aurai fait comme les cochons, j'aurai bonifié en vieillissant. 

Le temps est splendide et me fait regretter plus amèrement toutes les joies d'hier. Je te parle au hasard des pensées, ne va pas te figurer que je suis triste et ramolli par le cafard. non ! le moral est excellent et méprisant ce que j'ai fait aujourd'hui je suis, avec constance, convaincu de ce que je vais faire demain. 

Je vais rester quatre jours sans nouvelles de vous, chère petite famille. ce temps va me paraître long, bien long, mais je me console à l'idée que toute ma correspondance me viendra d'un coup et que j'aurai de quoi me réjouir sur votre santé et els mille incidents de la vie du très Tchaman. 

Je vous embrasse tendrement

Fernand

17 août 1916

De Fernand à Juliette

Ma chérie

C'est tous les soirs que je commence ma lettre en geignant sur ma fatigue. ? ! Aujourd'hui encore. Je suis positivement exténué, mais il y a de quoi. Au front toute la matinée et là, exaltation fébrile, dessins, croquis, pochades, etc. Je faisais suite à un général que je n'ai d'ailleurs pas suivi pour travailler plus à l'aise. Retour à midi, plus émotionné par mon cœur plein d'impressions à rendre que par l'accueil assez chaud qui était fait, comme par hasard, aux visiteurs de marque que j'avais l'honneur d'accompagner.

Boulotté hâtivement, puis couru jusque chez moi où, pieds nus, je me suis mis à brasser de la peinture au grand ébahissement de mes confrères. Tu sais comme je vais quand je brasse : à quatre heures, j'avais fait deux toiles que je crois pouvoir considérer comme parmi mes meilleures. À quatre heures, je recevais un autre général, un homme exquis qui aime la peinture et les peintres et qui me connaissait de nom... C'est le premier Belge qui me fait cet honneur. J'ai dans ma chambre, te l'ai-je dit, mes "Baigneuses surprises" achetées à La Panne par un ami. J'ai accroché ce souvenir de tant de jours jeunes et heureux en belle place près de mon lit. Je te revois belle et je pleure, tout petit être si avide de toi toute entière comme je t'avais, comme je te voudrais encore. ce soir, je me suis assis sur le sable, près de mon ami Meunier, dans une villa quelqu'un jouait l'Arabesque de Debussy au piano, et au nord le canon tonnait. Nous avons parlé chacun pour nous-même de celle que nous aimons et je t'ai porté si haut...et toi et l'affection que je te porte....que tu en aurais eu le vertige. Et lui, mon cher Bien-aimé, pense-t-il à moi ? Je crève de nostalgies pour vous deux et j'ai deux mois à tirer encore pour mes huit jours. Pour Tchamant Nou, je vais faire quelques Krains et des Lûmes. 

(Ligne de trains et de lunes) 

Je t'embrasse de tout mon cœur de poilu kaki. Je bize la maman à la pensée de qui je me recommande à chaque instant. Je pense tant  à elle, aux joies que j'en ai reçues, qu'elle sache que si elle m’apprécie, je sais aussi ce qu'elle vaut et ce qu'elle m'a donné de bon et de beau dans la vie. Quel livre magnifique eut été notre vie sans...mais quelle mauvaise bête m'inspire maintenant ? Je vais me coucher. 


Fernand 

19 août 1916

De Fernand à Juliette

Ma chère petite Juliette

À la bonne heure ! Quel courrier aujourd'hui ! Deux lettres de toi et une de "my teacher" (Adler ? ) C'est très gentil, le sentiment est exquis et je l'apprécie. Comme toujours il est tard.  Nous quittons Claus, (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Claus) le grand patron belge de passage à La Panne. C'est un homme charmant, délicieux conteur et qui, plus d'une fois, m'a fait penser au grand J.P.L. que je m'en veux de ne pas avoir été voir avant mon départ. Je pensais partir aujourd'hui pour quelques jours au front. La besogne en vue de l'exposition m'en empêche ; ici, je dégoterai quelques modèles en même temps que je pourrai finir mes différents travaux en cours. Malgré cela, la nostalgie du bruit me poussant, j'irai demain dans un endroit à fracas, mais pour quelques heures seulement : je compte rapporter de là quelques études en plus de bagage. C'est mon nombreux courrier qui m'a décidé aujourd'hui. J'avais un cafard énorme, ayant vu d'un seul coup le néant de mes ridicules efforts. Je suis convaincu qu'il me manque quelque chose : une méthode ? Une compréhension des choses ? Je ne sais, mais toujours est-il que mes efforts ne me paraissent pas aboutir. Dis moi vite que tu as reçu de Blondel, ta dernière lettre me donne de l'inquiétude. Pour ma part j'espère faire ici quelque vente à la prochaine exposition. je me mets en frais de cadres et suis dans la mélasse si j'échoue. Lucien m'écrit et me parait être au bout de son rouleau. Tu ferais peut-être bien de tâter le terrain près de jeanne et de lui envoyer quelque chose suivant sa réponse. Oui ! C'est ça envoie moi des photos d'Aix et si tu trouves une photo de la maison où vous habitez, chers, expédie la moi....sans dispense de lettre bien sûr. Ci-joint une photo du poulet dans le village où fut cueillie la dernière fleur mise sous pli. Je vous adore. Je pense à vous. J'embrasse Chamant Nou. Quant à toi, chère femme bien aimée, des frémissements me courent en songeant à ce que je te fais en pensée. Mille compliments à madame Durand, dis lui qu'à priori, je crois comprendre sa lettre faite avec habileté et intelligence mais que je me propose de la culotter (pas elle mais la lettre) à tête reposée. 

Encore mes baisers pour vous deux. 

Fernand. 

 

 

21 août 1916

De Fernand à Juliette 

Chère petit Loup, 

Je reçois régulièrement deux de tes lettres à la fois, et ma joie est extrême. J'ai été touché hier par deux cartes sous enveloppes et une excellente lettre où tu me dis notamment l'intention que tu as de me dire tes journées et celles de Chamant Nou heures par heures. Ceci me promet de la lecture et quelle ! celle qui donne le mieux le change à mon isolement. Il est sept heures du matin, j'ai dû renoncer hier à t'écrire. J'avais quitté la besogne à 6 ½ pour aller retrouver Claus, le grand peintre belge à qui nous faisons une honorable cour durant un court séjour qu'il fait ici : eh bien ! je n'ai pu dire un mot intelligible tant j'étais abruti par la peinture que je brasse. Par contre, Claus, lui, a beaucoup parlé et je dois dire que la société y a gagné parce qu'il est au plus haut point amusant. La Reine prend plaisir à le piloter sur le front et la reconnaissance de ce vieillard pour cette femme si bonne et si courageuse s'exprime en petites historiettes vraiment délicieuses.
Je viens de recevoir une lettre affolée de Marguerite : "Toi qui connais des généraux, me dit-elle, fais en sorte que Georges, … etc." Et je ne puis que si peu ! C'est Fernand P. qui l'a renseignée ainsi, avant la lettre pourrais-je dire, car c'est avant-hier seulement que j'ai eu l'honneur de la visite du général Frantz, gouverneur militaire du Hainaut avant l'occupation. C'est un homme exquis qui taquine le pinceau et qui prend plaisir à la société des artistes. Je remarque encore une fois que les artistes sont tenus plus en estime en Belgique qu'en France, sans doute parce qu'il y en a moins.

Ma chère petite, je suis pressé par le temps. J'ai sous la main l'épouvantable feuille sur les revenus à compléter....de nos dettes et c'est pour moi la croix et la bannière avant de me remettre au chevalet tentateur. 

Amitiés à tous et surtout à Marie. pour toi des baisers fous que tu sais, pour Tchamant je fais la lune bizarre avec de grosses lèvres gourmandes et lippues.

(petit dessin)

Fernand

 Sans date 

De Fernand à Juliette 

Ma chère petite femme, 

 Aujourd'hui encore une bonne lettre de toi ! À la bonne heure ! Je puis maintenant situer ma pensée et vous visiter, Chère et Cher. Je rentre, il est dix heures et demie et loin d'aller à de folles aventures après mon repas, je me suis installé avec l'ami Meunier, artiste fin et délicat, sur la plage où nous avons chanté l'un et l'autre dans le soir les choses les plus nostalgiques de Grieg. Que de bonheurs et aussi que de profondes tristesses n'ai-je pas évoqués en moi-même ainsi . La mer était phosphorescente et une langueur poétique flottait, enveloppant chaque objet du vague désir d'être éternellement, même vieux et rabougri. Et toujours le canon qui tonne sur Nieuport et aussi ici considéré cependant comme étant de tout repos et qui doit l'être aussi pour celui qui vit continuellement à "l'enfer" comme disait M. (?) Cette lettre plus longue que les autres sera mise à la poste à Paris par un ami qui y va en mission. C'est ainsi qu'il faut faire pour être à peu près sûr du secret de la correspondance. Par erreur, des lettres mises à la poste civile ici me sont revenues ouvertes toutes par la censure. Et quoique j'aie peu l'intention de te dévoiler des secrets d'état puisque je n'en ai pas, j'aime mieux t'écrire librement et sans contrainte. Voici comment je vis et ce que j'ai fait jusqu'ici. La première semaine, j'ai beaucoup voyagé en auto avec Horlait et à ma première sortie j'ai vu Furnes et ses lamentables rues ruinées, le lendemain je suis allé aux tranchées. Le surlendemain aux tranchées de Pervyse, nom assez retentissant par les batailles de l'Yser, et dans une batterie où j'ai fait la connaissance du commandant. Je lui ai demandé l'hospitalité et c'est ainsi que j'ai vécu dix jours au feu, envoyant et recevant des obus ...(pas moi, mais l"zeautes"). Je ne te dirai pas que je me suis précipité de suite sur l'entonnoir pour chercher la fusée et t'envoyer une bague... non... d'abord c'est maintenant tout à fait interdit et puis c'est plus prudent d'attendre que la dégelée soit passée. Je me suis bien comporté, mi par amour-propre, mi par nature un peu fataliste. Depuis, j'ai parcouru cent boyaux et tranchées, les unes en plein champ, d'autres dans des villages dévastés, d'autres encore dans l'eau, et je dois dire que personne n'avait pu m'en donner une idée exacte. D'abord, ce n'est pas effrayant du tout : on a marché très à l'aise, en zigzaguant continuellement à cause des éclats. Si on est grand, on se baisse pour ne pas être canardé ; aux endroits dangereux, on fait un peu plus vite et quand la pile des sacs est de part et d'autre du boyau on se trouve souvent à découvert et l'homme de garde armé de son flingot y attend sa relève durant deux et quatre heures et sans avoir jamais à se cacher, sa silhouette se confondant avec le terre-plein qui se trouve derrière lui. Le petit souvenir cagot que je t'ai expédié a été trouvé par moi à Reninghe peu après un combat contre avion où, généralement le danger est moindre en l'air qu'à terre... à cause des éclats et des fusées d'obus qui atteignent rarement leur but et se font un malin plaisir de troubler le modeste dessinateur qui se trouve comme par hasard en- dessous. À propos !! maintenant que j'ai vu, je ne vois pas bien l'ami Bob photographiant un obus à dix mètres, zut ! En réalité, il n'y a rien de bien effrayant, on se fait au bruit ; on se fait aussi à voir tomber l'"objet" à deux pas et jamais sur vous. Je sais que la placidité de nos trente-trois kilomètres défendus par l'eau surtout n'a rien à voir avec la Somme ou Verdun et que nous sommes, parmi les alliés, la nation la plus privilégiée après avoir été la plus torturée. T'ai-je dit ? Quand nous sommes à La Panne, nous mangeons au mess à raison de quatre francs par jour et nous sommes en villa face à la mer pour 0.50, soit une dépense de cinq à six francs, ce qui n'est pas cher ici. Les camarades sont tous de bons et braves types et je cite parmi eux le brave Meunier, 43 ans, toute la campagne, beaucoup de talent, avec qui je fraternise, étant de mêmes goûts et de même caractère. Dans quinze jours, nous aurons la visite de la Reine et ce sera vraisemblablement la consécration officielle de notre rôle aux armées. À partir de ce moment, notre situation s'améliorera probablement et au lieu de nos deux francs par jour, solde de soldat en ménage, nous aurons probablement une indemnités de 3.50, soit 5.50, ce qui nous permettra de vivre et de faire vivre par le surplus notre petite femme et notre charmant petit bonhomme. En attendant je gagne pour Honorine tout au plus...Mais c'est la guerre dis ? Je ne demande plus pour Blondel et je vais lui écrire dès demain, pour que tu reçoives le mandat dans le courant de la semaine prochaine. Je te ferai envoyer mille francs en te suppliant de faire comme toujours, c'est à dire d'en user avec économie. Ne mangeons surtout plu la peau de l'ours avant de l'avoir tué comme nous l'avons fait tous deux à mon séjour au camouflage de sinistre mémoire. 
J'ai pondu jusqu'ici une dizaine de tableaux et aquarelles, rien de fini ; une vingtaine de dessins rehaussés et je suis effrayé de penser que voilà près d'un mois que je suis ici ! Dans deux mois,je me ferai donner une perm bien gagnée... après quoi l'hivernage qui, paraît-il, n'est pas drôle... C'est la guerre et je me ferai à cela comme je me fais à tout.

J'ai écrit un petit mot aux Villain avant même que tu me le dises. S'ils ne l'ont pas reçu c'est qu'une partie de ma correspondance reste en route. J'ai beaucoup ri à la pensée de vos "déballages". je n'ai jamais douté que marie fut très bien faite et j'ai même eu l'occasion de te le dire je crois. Dis lui donc de ne pas se gêner pour moi quand je reviendrai. Ne suis-je pas un peu comme un médecin ? À d'autres, hein Juliette ?.......Je me plaindrai vraiment si je n'étais jamais qu'artiste comme maintenant. Mais patience ! J'économise et ma petite femme trouvera à qui parler, quand son homme de bronze lui reviendra. Car je suis couleur du front tu sais et quelqu'un m'a fait dire que j'étais "très ben" ce dont je n'ai jamais douté bien entendu. Somme toute bonne santé et peinture à tour de bras du matin au soir, heure à laquelle sauf exception je t'écris....ne serait-ce que pour embêter la loi formelle d'éteindre tout à neuf heures....Il y a de bonnes raisons pour cela, des avions partout hier sur Calais ou Dunkerque ont laissé tomber quelques crottes en passant. On les a bien reçus, dix bombes à feu dont je voyais les éclairs de mon lit ont canardé et quoique pas méchant, je souhaitais presque qu'on ne les fasse pas dégringoler ici avec leur sale provision. Dieu merci, voilà un mois que je suis au front et je n'ai pas encore vu un mort. Ne te frappe donc pas. Si par hasard une vague inquiétude te prenait à mon propos. Pour ce qui est de la marche des affaires militaires on n'en sait pas un mot et j me demande où Louis Fichelle (? ) va piquer ses fins tuyaux sur les Anglais et leur 60K. en fauteuil. Nous fréquentons cependant beaucoup d'officiers qui voient la canarde tous les jours et qui ont d'autres chats à fouetter dans la tête et dans le cœur quand ls ont du répit. Tu sais duquel je veux parler et c'est précisément d'un de leur petit frère que je suis hanté depuis que je t'écris. Des polissonneries me viennent au...bout de la langue...et je me demande quel nouveau rêve bien tassé je vais encore faire cette nuit. Heureusement que selon les tuyaux précités le premier mois est le plus dur ! 

J'embrasse avec ardeur la chère tête du Tchaman Tibu. Quant à toi, chère, bien chère femme, c'est à une autre place qu'en pensée je dépose mes baisers. 

Fernand

 

23 août 1916

De Fernand à Juliette

Chère petite Juliette

Sois tranquille. Il n'y a pas que toi ni madame Durand. Je suis un pauvre poulet dans sa chambre qui refrène stoïquement eu égard aux moments les fureurs de sa chair. Je vois que tous les amis font de même et la vertu se porte beaucoup par ici, ce qui est fort encourageant. Par exemple on fume, on fume beaucoup, trop et c'est parait-il souverain. Le tabac a dû été inventé pour les militaires voués à la chasteté. 

je te disais, pour parler d'autre chose, que j'avais écrit à Blondel, dis moi de suite quand tu auras touché ! Pour ma part, mon petit pécule diminue à vue d’œil. Chaque jour c'est un nouvel achat et tout à l'heure encore...une brosse pour mes bottines que j'avais négligées jusqu'ici. Cette situation de mes croquenots ne pouvait plus durer, j'ai de trop chics fréquentations ma chère. Si encore ces fréquentations...mais ne parlons plus de galette veux-tu ? C'est bien la chose la plus assommante qui soit quand elle est absente. Ci-joint tu trouveras une photo du poulet dans les tranchées, tu le verras bien portant et gai par le plus pacifique des soleils. À côté de moi, de l'autre côté du plancher, les soldats pêchaient placidement tandis que leurs camarades veillaient. Tu ne peux voir ni les uns ni les autres par suite de la disposition spéciale de ces premières lignes, encore assez éloignées de l'ennemi à cet endroit-là. C'est même assez curieux comme document innocent de la guerre moderne. 

Conserve ces photos mon petit loup. J'aurai quand même plaisir plus tard à les revoir.

Parle-moi beaucoup dans tes lettres de tes pensées intimes. j'aimerais tant savoir que tu penses à moi, que tu m'aimes comme je t'aime. Quel vieux rasoir je fais, dis ? Voilà ce que c'est, madame, que de rendre votre homme dingo par la puissance de vos charmes. 

Et Tchamant Tilou ? Embrasse-le tendrement. Raconte lui des histories sur poilu Kaki, fais lui deviner ma photo et dis moi sincèrement s'il m'a reconnu sans secours. 

Marie veut décidément m'écrire mais de telle manière que je ne puisse comprendre, j'ai beau m'user à déchiffrer sa première lettre et aussi sa seconde en entrelacs, je n'y parviens que sommairement...Je comprends tout de même qu'il y a des choses très ex..(?) à savourer dans ce fouillis. Mais... 

Je t'embrasse de tout mon cœur ainsi que le Tchamant. Amitiés à Marie et aux Villani, compliments à Honorine. 

Fernand

 

24 août 1916 

De Fernand à Juliette 

 Ma chère petite femme, 

J'ai failli ne pas t'écrire ce soir, effrayé par l'encombrement de ma table dans lequel je devais me frayer une place. Ne dis pas ! "À quoi tient de recevoir une lettre !" en méprisant le rude travail auquel je viens de me livrer : mon effort, par manque d'habitude est gigantesque et mérite tes applaudissements et ton estime. Voilà ce que c'est que d'être gâté dans le civil par une gentille petite femme qui à la mine de rien par dessus tout vous donne encore le confort et l'insouciance des choses ménagères. C'est ainsi qu'à ma plus grande honte j'ai dû acheter aujourd'hui une chemise et une serviette, ayant oublié de faire laver mon linge ! j'ai bien reçu ton mot de Roquefavour, ça a l'air épatant ce patelin-là. Remercie madame Durand pour son petit mot je lui écrirai sous peu, ne serait-ce que pour la rassurer à propos de ses craintes injustifiées. Et Petit Loup, quelle contenance a-t-il devant la mer ? Et son bain ? je suis si heureux de le savoir bien portant et continuant à faire l'adoration du populaire. pour ma part, je n'en pends guère ici de bains. je n'ai pas le temps, accroché toute la journée sur mes toiles esquissées au front et que je dois terminer à l'atelier. Et puis, à vrai dire la mer n'a plus le même attrait depuis que je suis soldat. Cependant elle était merveilleuse ce soir et dans un aspect que tu ignores. Elle était phosphorescente, des lueurs aussi vives que celles produites par une allumette frottée sur une muraille couraient d'un bout à l'autre du rivage et c'était un saisissant feu d’artifice. Comme j'étais délayé (?) par une chanson intitulée "Tu m'as donné le plus beau rêve" de Lakmé et qui est exquise, j'aurais presque pleuré si j'avais été seul et sans autre témoin que moi-même. Cette chanson est chantée par une femme, oui ma chère Juliette, et nous parvient par le canal d'un phono que nous avons au mess. Comme tu vois nous ne sommes pas à plaindre, nous mangeons en musique et nous mangeons bien, même avec de petits plats, ce qui n'est pas pour me déplaire. La chose changera du tout au tout le mois prochain que je passerai tout entier sans doute sans une profonde retraite. J'ai un travail en tête qui nécessitera ma présence presque journalière au front et je compte, pour être au centre, aller percher à Furnes dans quelque maison abandonnée. Le mois fini, je prendrai mes cliques et mes claques pour la ferme. Je fais en ce moment un soldat tout équipé et je me passionne dans cette étude, j'apprends par la même occasion le maniement du fusil et tu rirais de me voir faire mes classes et obéir au commandement de mon poilu pendant les repos. Comme de juste, ma chambre-atelier est envahie de mes ... tableaux. Je les bouscule, je marche dessus tout comme à Paris. Je suis toujours l'impénitent peintre "à tour de bras". 

Dis-moi quand tu auras touché de Blondel, je suis vraiment surpris qu'il n'ait donné aucune suite à ma lettre. Je lui ai récrit.

Je me suis lié d'amitié avec un jeune capitaine qui vient passer de temps en temps deux heures avec moi. C'est un monsieur De Mot de Bruxelles. Le pauvre est marié depuis quatre ans et sa femme et ses deux enfants sont à Bruxelles. Le pauvre garçon me ressemble tellement au moral que nous mêlons nos nostalgies, ce qui est moins amer qu'isolés. On me donne des nouvelles de Tournai. Les prix sont triplés, mais il ne manque de rien. Reçu une longue lettre de (?) Fréhelle. Louis n'a pas encore reçu sa permission du 14 juillet. les congés sont d'ailleurs encore fermés partout je crois. puissent-ils se rouvrir pour octobre, c'est la grâce que je me souhaite. Car je mets à faire des rêves d'une lubricité telle qu'ils me feront un accident  une nuit ou l'autre. Chère petite comme je t'aime ! Je me prends parfois à me demander s'il me sera permis d'arriver à te faire enrager...je voudrais tant me faire violence et me décider à le faire. Quelle joie j'éprouverais à me dire "elle enrage donc elle m'aime"  et à te revenir plus aimant encore de me savoir aimé comme j'aime....Qu'est ce que tu dis de ton vieil amant de douze ans ? Qu'il radote ? ...erreur ! Qu'il vit toujours vingt ans dans son cœur de poulet déjà mûr. Et j'adore Nounou aussi. je montre sa photo et je dis : voilà mon fils. Et je suis fier comme Artaban. N'as-tu pas une photo récente de lui, de vous, à m'envoyer ? Que ne vous faites vous photographier ? 

Je vous embrasse mes deux petits cochons de mon cœur. 

(petits dessins) 

Fernand

 

25 août 1916

De Fernand à Juliette 

Ma chère petite femme

Je suis gâté c'est délicieux. Je reçois tes lettres maintenant par séries de trois. Comme c'est bon et comme je suis heureux. C'est avec un vrai soulagement que j'apprends la St Touche Blondel (?) Tu sais que nous atteignons chez lui le maximum prévu et qu'il faudra que nous nous organisions dorénavant pour nous passer des ses services. Et ce ne sera pas si commode. J'ai débuté par un coup de veine ici avec mes deux portraits et je crains bien de ne plus la voir se renouveler. 

Je t'écris dans un état de fatigue vaseuse. Une dépression suite à une grande surexcitation que tu comprendras quand je te dirai que cette nuit même je suis parti au front...(et auquel !) pour m'impressionner du spectacle. Bien entendu j'ai fait cette route à pied et je n'ai pas fermé l’œil cette nuit fort pleine d’incidents que je te raconterai plus tard de vive voix : et je crois que tu envieras les sensations d'artiste que pour mon service j'ai crû bon de me donner. Nous préparons fébrilement l'exposition que tu sais, petit à petit je termine ou considère comme terminé tel ou tel tableau qui, dès lors, n'offre plus pour moi qu'un intérêt médiocre. Je suis navré de sentir ma peinture qui se plombe et je me régale de celles que je vais faire. Ainsi l'équilibre se fait et j'arrive à vivre avec moi-même. J'ai vu des choses énormes, splendides, devant lesquelles je m'aplatis et renonce à peindre. Que de choses à te dire, chère amie ! Hé bien,  ça va les petits voyages à ce qu'il me semble ? Comme tu as raison, mon amie, de profiter de ton séjour là-bas et de la société de Madurant pour visiter. À ce que je vois le pays est splendide et riche en romaineries..tu dois jubiler ! 

(une ligne de dessins de petits trains) 

Une ligne de Crains pour Tchamanou, le charmant insupportable qu'on adore. 

Une religne de lûûnes 

(une ligne de dessins de lunes) 

Je t'embrasse à t’étouffer... allez fais lui des (?) avec tout le coeur que j'y mets, petite maman. C'est fait ... À ton tour. Je t'embrasse, ici dans la nuque, autour de tes invisibles ouïes. je descends doucement sur ta cambrure, je monte sous tes bras et la pensée de ce petit voyage m'affole. Je m'arrête longuement sur deux petits points rosées émus et au galop je fonce... d'un coup ... mais ne parlons plus de cela. je me retrouve seul et salement contrit. 

Amitiés à Madurand 

Fernand 

 

27 août 1916

De Fernand à Juliette 

Chère Petite

J'ai un quart d'heure avant mon repas et vais réparer le dommage que j'ai commis hier en ne t'écrivant pas. Tu seras servie doublement aujourd'hui. Je ne t'ai pas écrit par suite d'une malencontreuse aventure. J'ai commis l'affreux péché de veiller tard la veille en faisant des croquis et en t'écrivant. Or, il n'est pas défendu d'écrire à sa femme, mais il est interdit d'avoir une lumière, en l'espèce un infect bout de chandelle et j'ai eu ces messieurs les gendarmes. De sorte que hier j'ai dû me coucher sans y voir clair dans l'attente d'un rideau opaque que je me suis fait confectionner. Tout en t'écrivant je me rappelle que ces événements datent de deux jours et que hier soir j'ai cumulé ma punition avec un plaisir extraordinaire. : je suis allé à un concert-conférence donné sur le front pas les Français. le sujet était "la musique militaire au travers les âges". Le délicieux fut d'abord de nous rendre à la baraque de fortune installée d'ailleurs avec beaucoup de goût. L'auto filait dans l'air frais car il avait plu,  le ciel était magnifique, et j'étais préparé d'enthousiasme à celui que j'allais ressentir. Que le génie français est grand. Un calme tranquille, une certitude paisible de vaincre, tel est le leit-motiv de cette conférence entrecoupée de musiques magnifiques enivrantes qui révèlent le génie militaire de la France. Et quel accueil courtois ! Dans la nuit du retour l'auto roulait le volcan de mes passions toutes jaillies au contact électrisant. J'aurais peint toute la nuit si j'avais pu y voir et j'aurais même fait mieux que cela. ..comme soldat. 

Je rentre de dîner après avoir laissé ce mot, et je rentre tard, ayant passé la soirée chez un bonhomme qui a encore un piano, pianola chez lui. Ça c'est l'entrainement forcé quand on vit en commun entre artistes comme nous le faisons. Mais je commence à en avoir jusque là de l'arrière, et dès que notre exposition sera faite, je refile vers des ailleurs où je m'installerai jusqu'à l'instant de la perm déjà tant attendue. 

J'ai bien eu ta bonne lettre avec les lûnes de Tchaman Nou. L'horrible drame de l'arrosoir m'a fait frémir. Réussit-il ses pâtés maintenant ? Je suis renversé de tes prétentions hivernales...À Nice ma chère ? Mais tu veux te faire enlever par un Roumain ? Enfin si tu souhaites Nice, va pour Nice, mais c'est d'un luxe qui me fait peur et d'autant plus que nous atteignons l'extrême limite Blondel à qui je récris par ce courrier. 

Je vous embrasse follement tous deux 

Fernand Kaki

30 août 1916

De Fernand à Juliette  

Chère petite femme, 

Il me semble qu'il y a une éternité que je ne t'ai pas écrit. Je suis bourré de remords et j'ai sauté trois jours seulement sans le faire. Mais que d circonstances atténuantes. ! N'aurai-je que celle d'être en droit d'exercer des représailles : je suis en effet sans nouvelles de toi, de vous, depuis trois jours. Est-ce que je dois craindre, est-ce que je dois attribuer le mutisme à un arrêt momentané de toutes correspondances à cause des dernières et magnifiques nouvelles de Roumanie. est-ce le départ de Madurand ? Et le déménagement subséquent comme dirait un gendarme. Pour ma part j'ai des raisons. Je suis surchauffé, fiévreux : après-demain, visite de la Reine. Pense dans quel état je suis. Mettant la dernière main à chaque toile, me désolant, astiquant mes cadres de bois brou-de-noités... allant voir ce qu'ont fait les autres. Tous ont travaillé d'arrache-pied et l'exposition sera bonne. Horlait boit du petit lait et ma foi m'a tiré tout à l'heure un petit compliment pour m'exprimer sa satisfaction. J'ai reçu l'aveu qu'il craignait un peu mon apport, étant le seul qu'il ait pris sous son bonnet de faire venir. Selon lui, tous les confrères pris séparément ont une appréciation flatteuse du "poulet je te prie" et le "poulet je te prie" est plus heureux de ce fait que de lui-même.J'ai passé une de ces journées lamentables que tu sais et aggravée d'être si loin de vous. J'ai joué et rejoué plusieurs fois "Tu m'as donné le plus beau rêve" dont je t'ai parlé déjà, et je suis allé à la carte pendue au mess. j'ai cherché Aix et j'ai dit à l'ami meunier : Voila où est ma pensée, j'avais le cœur gros et je l'ai encore en t'écrivant.  j'ai tant besoin de vos nouvelles ! Que fait le Tchaman Nou ? À l'heure où je t'écris ce petit loup a fermé ses deux petits poings et dort. Te souvient-il quand on s'aimait... à pas de loup dirais-je pour ne pas le réveiller ? Que ce temps-là est loin et cependant nous étions déjà en guerre. À ce propos que dit Henri V. le pessimiste, ne voit-il pas clair enfin ? Ici c'est le plus bel esprit qui règne et je pense fermement revoir Tournai avant Noël. D'ici là j'aurai été t'embrasser. ..si les congés sont rouverts dans un mois et demi exactement je file vers des ailleurs, Aix ou Paris suivant ta décision. je te conseille de rester dans le midi cet hiver. J'ai de très jolis tuyaux pour qu'on puisse se voir de temps en temps si tu habites Paris, mais comment former des projets alors que tout est si précaire ? La vie est si bizarre maintenant que rien ne peut plus se prévoir. Une seule choses est durable, c'est l'affection sans borne que je vous porte, êtres chers entre tous. Votre pensée est toujorus présente, et à tout bout de champs je tire votre photo que je montre fièrement : ma femme et mon Tchamant Nou... "Mazette" J'ai de longues rêveries où je replonge tous mes sens dans les voluptés physiques de jadis et je me rappelle avec joie celles que j'ai eu à te retrouver après mon séjour à Amiens – que seront celles du retour après trois longs mois ! 

Je t'aime de tout mon cœur et te charge de mes baisers pour Tchamanptiloup que j'adore. 

Fernand

As-tu accusé réception de la galette à Blondel ? je suis en pourparlers pour un portrait sérieux ...l'aurai-je ? Les fonds sont bas. 

Je vous embrasse encore. 
Veux-tu écrire chez Jeanne (la sœur de Juliette, mariée au sculpteur Lucien Brasseur, https://fr.wikipedia.org/wiki/Lucien_Brasseur) et tâter le terrain, ils doivent être dans la purée. En ce cas, envoie peu mais envoie. 

Encore de fameux baisers

FALO