Courriers et articles à la suite du décès
Télégramme reçu de Léopoldville le 12/6/1933 à 21h25 du 12 à 17h.
Sommes informés par télégramme déposé Basoko aujourd'hui à 8h15 Allard l'Olivier disparu bord Flandre vendredi 8h20. Recherches corps infructueuses. Prévenir famille intervention ministère. Guebels Conseiller Cour d'Appel se tient à la disposition famille pour toutes dispositions utiles.
Prescrivons remettre bagages Autorités judiciaires
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Télégramme d'Etat
URGENT
Du Gouverneur Général LEOPOLDVILLE
n°218 du 13 juin 1933
Progou Stanleyville télégraphie citation : Administration Isangui confirme Allard l'Olivier voyageant sur Flandre avoir disparu 9 juin 20 heures 30 - serait noyé- stop - Commissaire district et Substitut partis sur place dès réception nouvelle.
Postiaux.
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Léopoldville, ce 14-6-33
Chère Madame, cher André, chère Mademoiselle
La terrible nouvelle que j'apprenais avant-hier vous est parvenue à Bruxelles. J'espère qu'on vous l'aura annoncée avec tous les ménagements possibles ; car, à moi, qui n'étais que le grand ami de Fernand, j'ai été terrassé, lorsqu'on m'a lu le télégramme déposé à Basoko sans préparation aucune. Je me disposais à vous annoncer précisément à ce courrier que toutes les mesures étaient prises pour l'exposition de Léopoldville. J'avais les cadres fabriqués d'après les instructions de l'artiste. Les cartes d'invitation étaient imprimées, le local mis gracieusement à ma disposition par le Comité du Cercle. Et il allait venir, lui, le grand artiste par qui toutes les choses exposées avaient été faites. Il les avait sur son bateau. Son boy les avait déjà auparavant protégées d'un commencement d'incendie à bord d'une camionnette. Tout était donc pour le mieux. Nous l'attendions, ici avec l'impatience de revoir notre ami et voilà que tout à coup brutalement tous ces beaux espoirs sont détruits.
Au moment où je vous écris et nous sommes le 14 juin déjà, je ne peux me défaire d'un espoir qui me reste et lorsque je téléphone et retéléphone à l'Unatra pour avoir encore des nouvelles on me répond : non, Monsieur Guébels ! Plus d'autres nouvelles. Je ne sais si je vous console ou vous afflige, mais je ne peux rien d'autre que vous dire ma propre peine, l'unir à la votre, à tous trois là-bas à Stockel ! Peine effroyable et que je voudrais tant faire plus légère. Las ! Je ne peux même pas alléger la mienne. Je la mets avec la votre, et vous demande de l'accueillir. Allard avait dans notre amitié plus de mérite que moi. Il me semble à présent que je ne l'aimais pas assez, pas autant que lui m'aimait ! Toutes ses bonnes lettres où il me faisait confidence de ses enthousiasmes d'artiste et parfois de son cafard sont des témoignages exquis. Ma femme et mes enfants sont rentrés en Europe, à ce courrier-ci. Eux non plus ne veulent pas croire, mais pourtant je crois que notre deuil est légitime. C'est très cruel ce que je vous dis là, pardonnez le moi, mais je ne veux pas fermer ma plaie, je veux souffrir d'avoir perdu mon ami sans réticence ni apitoiement. Nous nous souviendrons toujours de lui, chère madame, comme d'un homme exquis, d'un très grand artiste, d'un ami généreux. Ma femme et mes enfants s'unissent à moi pour vous faire part de la peine qu'ils prennent à votre malheur à tous les trois. Agréez notre fidèle amitié.
Guébels L.
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Dernière Heure, Bruxelles, 15 juin 1933
Le PEINTRE ALLARD L'OLIVIER EST MORT AU CONGO
UN BEL ARTISTE DISPARAIT
Tournai, 14 juin – Cette pénible nouvelle a été communiquée, ce matin, à la famille, par le ministre des Colonies.
La dépêche rapportait que, vendredi, M. Allard l'Olivier s'était embarqué à bord d'un remorqueur, sur le fleuve Congo. Entre 7 heures et 7 h.30, tandis que le bateau passait à hauteur de Basoko, l'artiste tomba par dessus bord.
Un Bel Artiste
Le bon peintre Allard L'Olivier, qui vient de trouver la mort au Congo, était né à Tournai en juillet 1883. il allait donc avoir, le mois prochain, cinquante ans.
C'était un artiste d'un talent très personnel et un coloriste plein de mérite.
Les grands sujets le passionnaient et l'on se souvient de ses œuvres d'une haute envolée qui ornaient le pavillon belge à l'exposition coloniale de Vincennes.
Allard l'Olivier avait été l'élève de Bouguereau,de J.-P. Laurens, et de Jules Adler.
Il excellait à rendre les paysages lumineux. Il alla peindre notamment, en Corse, en Espagne, en Algérie, en Tunisie et au Congo belge, où il fait plusieurs voyages. Il avait décoré également le grand hall du Palais du Congo à l'exposition d'Anvers.
Plusieurs œuvres d'Allard l'Olivier peuvent être admirées au musée de Bruxelles et dans les salons du ministère des Colonies.
Il fut lauréat du Salon des Artistes français en 1924 et obtint le grand prix de l'exposition d'Anvers en 1930.
La mort vient de faucher un des grands artistes peintres dont, à juste titre, s'honorait la Belgique.
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Avenir du Tournaisis 15 juin 1933
MORT TRAGIQUE AU CONGO DE NOTRE CONCITOYEN ALLARD L'OLIVIER
Tournai a appris, ce matin, avec stupeur, la mort tragique d'un de ses enfants les plus réputés, le peintre Fernand Allard, dit Allard L'Olivier.
La pénible nouvelle a été communiquée à la famille par le Ministre des Colonies. La dépêche ministérielle annonçait que vendredi dernier, Allard l'Olivier, qui voyageait sur le steamer Flandre avait disparu et se serait noyé.
Par contre une autre version qui court serait que :
Notre concitoyen, par étapes regagnait le port d'où il devait s'embarquer pour rentrer en Belgique le 25 juillet. Il était accompagné de son boy, un noir dont il aurait eu à se plaindre déjà, mais qu'il avait conservé parce qu'un jour il lui avait sauvé la vie au cours d'une randonnée où l'auto qui les conduisait s'était enflammée avec une telle rapidité que le peintre et sa collection d'études n'avaient échappé que par miracle à l'anéantissement.
Le jour du crime Allard l'Olivier se serait embarqué avec son boy pour continuer sa croisière. Il était porteur d'une petite fortune que lui avaient valus ses expositions au Congo. Le boy aurait connu ce détail et il aurait attaqué son maître, l'aurait dévalisé et jeté par-dessus bord.
Les autorités du du district se sont rendues à Kwamouth, lieu de sa disparition, pour enquêter au sujet des deux versions.
Fernand Allard l'Olivier était retourné une seconde fois au Congo pour y continuer l'étude de l'importante série de tableaux qu'il avait conçus au cours de voyages d'exploration, toutes œuvres qui avaient connu un grand succès et dont notre dernière exposition coloniale garde encore tout l'important souvenir.
Allard l'Olivier était né à Tournai en 1883 ; il meurt d'une façon tragique à la fleur de l'âge, au moment où ses admirateurs étaient bien en droit d'escompter encore une longue production de chefs-d'oeuvre surtout qu'aux innombrables tableaux déjà produits, allait s'ajouter toute une nouvelle série de toiles que le malheureux artiste avait ébauchées au Congo.
Nous parlerons demain du peintre si caractéristique que fut notre regretté concitoyen.
Nous présentons à Mme veuve Charles Allard, la mère du défunt, qui attend toujours le retour de "son Fernand"– à l'heure où nous écrivons elle ne connait pas encore la mort de son fils – à Mme Fernand Allard l'Olivier la pauvre veuve éplorée, à ses deux enfants, ainsi qu'à la famille l'expression émue de nos sincères condoléances.
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Bruxelles, 29 square Vergote, ce 15 juin 1933
Chère Madame,
J'apprends à l'instant l'affreuse nouvelle. Elle me terrasse. je ne veux pas essayer de vous adresser des consolations, dont je sais trop qu'elles sont vaines devant pareil malheur. Trouvez du moins ici, pour vous et les vôtres, le souvenir de la franche amitié qui, depuis vint-cinq ans, me liait au cher disparu.
Avec mes hommages respectueux et affligés
G Charlier (https://fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_Charlier)
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La Goulette, Wauthier-Braine, Brabant, le 16 juin 1933
Ma chère Juliette,
On vient de m'apprendre la terrible nouvelle. J'en suis bouleversé, autant que les amis qui me l'ont apporté. Fernand était peut-être pour nous, le plus fort, le plus solide, celui que rien ne peut atteindre. C'était aussi le camarade le plus sincère et le plus loyal - son optimisme nous avait souvent servi de remède et de guide.
Je n'ose pas penser à tout cela, qui étais lui, car, s'il nous était arrivé de ne pas être d'accord sur différentes choses, j'avais pour lui une profonde affection et je ne puis penser sans une cruelle émotion à cet effroyable malheur. C'est effrayant !
Je m'excuse de ne pas savoir vous dire ce que je ressens, mais je veux que vous sachiez ainsi que vos enfants quelle part je prends à votre peine, et je mets ici pour vous et pour eux, l'expression de ma cordiale affection.
Votre, Anto Carte
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Sans date
Chère Madame,
J'apprends à l'instant le terrible malheur, pauvre cher Fernand, si fort et si vaillant à la vie, il m'est impossible de me faire à l'idée que je ne le verrai plus et qu'une mort horrible l'a arraché à sa Femme, ses enfants et a vieille mère, que ses amis ne sentiront plus sa franche et cordiale poignée de mains, que son talent, si riche et si puissant ne donnera plus d’œuvres, au moment où il était en pleine possession de tous ses moyens.
Laissez-nous le pleurer avec vous et vos enfants chère Madame et recevez nos sentiments péniblement attristés, l'expression de nos vives et profondes condoléances.
Ma femme se joint à moi pour vous dire toutes notre affectueuse sympathie.
Pierre Paulus (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Paulus)
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Papier monogrammé d'un H dans un G majuscule,
54 rue de l'Ermitage,
16 juin 33
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Le 16 juin, 2 rue Emile Bouilliot
Chère Madame,
Nous avons été émus en apprenant le grand malheur qui vous atteint si cruellement.
Laissez-nous vous dire, à vous et à vos chers enfants, la part très vive que nous prenons à votre douleur.
Si quelque chose peut vous apporter quelques consolations à ce triste moment de votre vie, ce doit être la pensée que les nombreux amis qui ont connu votre cher mari, et qui ont apprécié son caractère et le service qu'il a rendu à son pays, vous entourent de toutes leur sympathie.
Agréez, chère Madame, pour vous et les vôtres, l'expression de nos sentiments affectueux et dévoués.
F. Helena Marzorati (https://www.kaowarsom.be/documents/bbom/Tome_VI/Marzorati.Alfred_Frederic_Gerard.pdf
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Télégramme du 17/6/1933
Le Roi et la Reine ont appris avec tristesse le malheur qui vous éprouve et me chargent de vous exprimer leurs vives condoléances :
comte de Patou
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Samedi 17 juin
Les amis s'étaient réunis hier soir spontanément, ma chère Juliette, pour parler de lui, et vous auriez été touchée comme je le fus par l'unanimité des regrets et les éloges du grand cœur que nous pleurons tous.
Depuis mardi, je ne puis détacher mes yeux de son image et il n'est pas d'instant où ne s'évoquent pour moi un des ses gestes, l'expression de sa voix ou certaines de ses paroles de bonté.
Je ne puis me résigner et suis tenté de revenir aux toutes premières heures qui nous permirent d'espérer...
Laissez-moi reporter sur vous et vos enfants, ma chère Juliette, ainsi qu'il l'avait voulu sûrement, l'affection que j'avais pour lui, laissez-moi vous exhorter au courage dans la ferveur du souvenir, laissez-moi vous embrasser en frère, d'un cœur fidèle et désolé.
GM Stevens (https://fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_Max_Stevens)
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Sans date
Le Bourgmestre de la ville de Tournai et Madame Asou ont partagé la consternation générale à l'annonce du fatal accident qui vous met si cruellement en deuil. Ils apprécient d'autant plus votre douleur qu'ils savent quel homme excellent vient de vous être enlevé, et quel grand et admirable artiste notre ville et notre pays viennent de perdre.
Ils vous prient d'agrée l'expression émue et sympathique de leurs profondes condoléances.
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Asou)
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18 juin 1933
(papier à en-tête du ministère des colonies, Le Ministre)
Madame,
Je ne puis vous dire combien j'ai été affecté par la douloureuse nouvelle.
Votre mari avait quitté mon bureau il y a quelques mois si plein de vie, d'entrain et de grands projets !
Je sentais qu'il allait faire de belles choses. Et voilà qu'il est brutalement enlevé aux siens, aux coloniaux qui l'aimaient tant, à l'art auquel il avait voué sa vie ! L'énorme grande perte que vous devez ressentir plus cruellement que personne mais qui nous atteint tous.
J'ai donné en Afrique les instructions qui correspondait à cette triste circonstance.
Veuillez, Madame, partager avec vos enfants mes condoléances émues et trouver ici, pour vous, l'hommage respectueux de ma douloureuse sympathie.
Paul Tschoffen
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Mons le 18 juin 1933
(papier à l'en-tête du Cercle d'Art du BON VOULOIR)
Chère Madame,
Le Cercle "Bon Vouloir" a appris avec une profonde tristesse la mort de votre cher mari. Nous ne pouvons croire à un pareil malheur ! Nous nous réjouissions de le revoir bientôt et de l'entendre raconter les épisodes de son deuxième voyage au Congo.
Hélas, nous voilà privés de notre cher ami, si gai, si vivant, si noble de caractère.
Notre tristesse, si grande qu'elle soit, qu'est-elle à côté de l'immense douleur qui vous écrase en ce moment.
Mais nous savons que vous êtes forte, courageuse et que vous aurez la force de surmonter cette tragédie si impossible que cela puisse paraître. Madame, tous les sentiments fraternels que nous éprouvons pour votre cher Allard L'Olivier, permettez nous de les reporter sur vous et vos enfants. Pour le moment c'est le recueillement, la douleur et votre famille, vos amis intimes sont auprès de vous mais sachez que nous pleurons et que nous souffrons avec vous.
Nous aurons l'occasion de vous voir madame et nous aurons la consolation de parler ensemble de notre éminent et cher disparu.
Courage, chère madame, courage !
Nous vous prions, madame, de recevoir l'expression de nos sentiments affectueux et attristés.
Pour le Cercle : Charles Caty,
30 avenue du Grand Jour, Mons
P.S. C'est en ce moment notre salon. Nous avons rassemblé quelques œuvres de votre mari et placé à l'exposition. Demain, lundi, notre ami, F. André prendra la parole à 16h pour faire l'éloge du grand peintre et de l'homme qu'était votre cher mari. Tous les admirateurs et amis du maître seront présents. je me permettrai de vous envoyer le compte-rendu de cette séance.
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Bruxelles la 18 juin 1933
(papier à l'en-tête "Henry Lacoste, architecte, Professeur à l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, 3 place Royale, Bruxelles)
Madame,
Je vous prie d'agréer mes respectueuses condoléances, pour le deuil qui vous frappe.
Peu avant son départ j'ai encore eu l'honneur d'être reçu chez vous par votre regretté mari. J'avais eu récemment aux expositions de Paris et de Rome la joie de travailler avec lui. Son oeuvre magnifique avait été aux yeux de l'étranger la meilleure part de la participation belge et nous étions frères.
Ayant été moi-même élève de son père et ami de sa famille je prends une part très sincère à votre douleur.
Je vous prie, Madame et je prie vos enfants d'agréer les vœux que nous formons ma femme et moi pour que vous supportiez avec fermeté cette dure épreuve et je vous salue respectueusement.
H. Lacoste (https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Lacoste)
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19 juin 1933, Les Nouvelles, La Louvière
On a découvert le corps du peintre Allard l'Olivier
Vendredi après-midi, sont arrivées au Ministère des Colonies, les informations relatives à la disparition de Allard l'Olivier, au Congo.
On annonçait tout d'abord que le corps avait été découvert par les indigènes, en amont de Basoko, qu'il avait été identifié et ensuite inhumé au cimetière du poste Yanongé.
Les contestations faites par les médecins de Stanleyville ont permis de reconstituer les circonstances du drame. Allard l'Olivier portait à la tête une blessure paraissant résulter d'une chute violente.
Or, à l'arrière de l'une des barges amarrées aux flancs du "Flandre", on avait relevé de légères traces de sang.
Dans ces conditions, on a été amené à croire qu'Allard l'Olivier s'était rendu à l'arrière du navire, sur la plateforme non pourvue de garde-fou et dont l'accès n'est pas autorisé aux passagers, en raison même du danger qu'elle présente.
Aura-t-il manqué du pied ? De la plateforme, il sera tombé, tête en avant, sur l'arrière de la barge. Le choc l'aura assommé et il sera tombé à l'eau.
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Bd des Batignolles, Paris, 24 juin 1933
Chère Madame Allard,
Avant de quitter Paris j'ai appris l'affreuse nouvelle, à laquelle je n'avais pas voulu croire. Je ne vous ai donc pas écrit : j'espérais malgré tout et voici que de Roubaix on me donne des précisions !!
Comment vous dire mon chagrin !
Vous savez toute l'affection fidèle que j'avais pour votre cher mari. Je l'ai connu si jeune ! si ardent, si plein de vie ! et lui qui aimait tant la vie est tué par une mort imbécile !! Quelle misère !
Je m'étais inquiété de son silence lors d'un passage à Paris auprès de Watelet. Il m'avait dit que depuis d'assez longs mois il était reparti au Congo pour des travaux importants. Alors j'excusais et j'étais rassuré.
Il m'avait habitué à belle écriture forte et pleine. Ses lettres m'étaient précieuses et attendues ! Voilà que c'est fini ! C'est horrible. Je vous vois tous là-bas dans votre beau coin de Woluwe, vous et vos deux magnifiques enfants - la maison rêvée organisée par lui se développant lentement - le jardin qu'il bêchait et à l'atelier de grandes fresques, effort sain et robuste d'une nature si bien armée et si pleine de talent !
Quelles consolations vous apporter chère Madame Allard...Je ne sais ! Je sais surtout que les mots sont inutiles. Laissez-moi me joindre de tout mon cœur à ceux qui comme moi l'ont aimé et apprécié. Permettez-moi de pleurer avec vous, mon pauvre cher Allard, que j'ai aimé comme un jeune frère. Ma femme se joint à moi pour vous dire la grande part qu'elle prend à votre chagrin et nous vous embrassons, vous et les enfants, bien tendrement et bien douloureusement.
Votre Jules Adler
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Service de la Reine, Palais de Bruxelles, le 23 juin 1933 (lettre dactylographiée)
Madame,
La Reine a appris avec émotion la cruelle épreuve qui vient de vous atteindre.
Sa Majesté m'a chargé de vous exprimer les regrets qu'Elle éprouve de la disparition si imprévue de Monsieur Allard l'Olivier dont Elle a eu maintes fois l'occasion d'apprécier le talent.
Notre Souveraine désire que vous sachiez qu'Elle partage votre peine et celle de vos enfants. Elle m'a prié aussi, Madame, de vous dire ses vives et très profondes condoléances.
Veuillez, Madame, agréer l'expression de les hommages respectueux.
Signature illisible (Secrétaire de la Reine)
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Sans date ni lieu
Le Baron Steens a été douloureusement ému d'apprendre la mort de son excellent camarade Allard L'Olivier, qui disparaît au Congo au moment où il s’apprêtait à enrichir encore le patrimoine artistique de son pays.
Je prie la famille du grand artiste dont l'affliction sera partagée par tous ceux qui ont le culte de la saine et belle peinture, de croire à sa profonde sympathie et d'agréer ses très sincères condoléances.
(Sans signature, peut-être https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Steens)
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Sans date, 20 rue Vineuse, Paris XVI
Ma chère Amie,
Je suis resté écrasé et muet sous la terrible nouvelle. J'essaie de me dire qu'elle est vraie. Et mon atroce douleur me dit qu'elle est vraie. Et je mesure la vôtre, qui pourtant ne peut être mesurée. Je revois la petite chambre aux grands rêves, nos vingt-cinq ans, son enthousiasme incomparable, notre amitié. Tout cela m'étouffe. Ce n'est pas à vous, pauvre Juliette, que je dois cacher que je pleure devant mon bureau en vous écrivant cela, en regardant son portrait, en songeant à tout. Je ne veux point vous verser de paroles consolantes. Elles me paraîtraient des offenses. Mais je veux l'honorer, lui, par l'évocation de quelques souvenirs, que j'espère publier dans sa ville natale. Et je veux le retrouver dans André. Et je voudrais persuader André de ne point abandonner, au profit d'un pseudonyme le beau nom qu'il porte. Ah ! dites le lui, de la part du plus vieil ami de son père ! faites lui entendre et accueillir cette prière-là. Et dites lui aussi que son père subsiste un peu, spirituellement, dans l'ami qui vous écrit ici.
Pauvre et chère Amie, que je sais énergique, il faut, bien que vous soyez brisée, continuer l'oeuvre que vous voilà contrainte d'assumer sans lui : vos deux beaux enfants. mais je sais bien que c'est atroce. Je voudrais être auprès de vous tous. J'irai un jour, la première fois qu'une circonstance ou un loisir me mèneront à Bruxelles,Je pense et je penserai à vous intensément. Lui, n'est-ce pas, c'était un peu moi, depuis si longtemps, et je viens de perdre, une partie de moi-même. Je mets ici tout ce que je ne puis exprimer, et vous devinez. Ma femme se joint à moi dans cette douleur. Et je vous embrasse chère Juliette, vous et les vôtres, de mon cœur le plus profond.
Gérard-Gailly
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Léopoldville ce 28/6/33
Chère Madame,
Je m'excuse de la singulière lettre que je vous ai adressée, au dernier courrier. Vraiment, j'ai été tellement bouleversé par les nouvelles que nous avions reçues à Léopoldville que je n'aurais rien pu vous écrire d'autre. Je comprends à ma propre peine ce qu'a du être la votre, à vous la plus proche du cher défunt et si loin, si loin..., vous rendant très difficilement compte de ce qui avait pu se passer. J'ai fait répondre à votre télégramme par le Gouverneur Général à qui le Ministre des Colonies avait déjà câblé deux fois pour avoir des nouvelles. Je me suis adressé à mon ami Guido Tinel Procureur Général, lui demandant de télégraphier au Procureur du Roi de Stanleyville pour avoir des détails. Aussitôt que la réponse est arrivée, monsieur Tinel me l'a communiquée et je l'ai postée au Gouverneur Général pour qu'on vous en fasse part au Ministère des Colonies. Je joins le télégramme du Gouverneur Général Postiaux Tél que nous nous sommes mis d'accord pour qu'il soit envoyé à Bruxelles.
Je pensais pouvoir, alors encore m'occuper personnellement de l'expédition des bagages de mon ami jusqu'à Stokel, mais le capitaine du steamer "Flandres", à bord duquel l'accident est arrivé les avait déjà remis aux mains de l'Administration. C'est donc l'Administration qui, d'après la loi d'ici peut et doit s'occuper de les envoyer au Ministère des Colonies à Bruxelles. Je suis cependant allé chez le Conseiller juridique en chef montrer le télégramme que j'avais reçu de vous et demander que les bagages me soient adressés pour que je vous les expédie plus rapidement, mais il m'a répondu que ce simple télégramme n'équivalait pas à un mandat des héritiers. Je n'ai pas insisté parce que de toute façon les bagages vous seront remis, peut-être un peu plus tard, mais enfin !
Il n'y aurait qu'un moyen pour régulariser ma situation de "mandataire", c'est que vous déposiez un écrit, une lettre au ministère des Colonies, le priant de vouloir bien informer les Autorités du gouvernement en Afrique qu'elles veuillent bien confier l'administration des bien-meubles de la succession Allard l'Olivier à Mr Guébels L. Conseiller à la cour d'Appel. Cette lettre signée par vous en qualité de veuve et de tutrice légale des deux enfants ; car je ne pense pas qu'André soit déjà majeur eut suffi, je le pense bien.
Voici l'intérêt que je voyais à ce mandat. C'est que l'Exposition annoncée à Léopoldville ait lieu à telle date où l'arrivée des bagages l'eût permis. Encore pour cela me fallait-il votre accord. Car l'exposition n'était à faire que si je pouvais vendre. Les intentions de Fernand étaient de vendre au moins 50 pochades dans des prix variant de 800 à 1200 frs, donc en moyenne 1000 frs par pièce, ce qui eût fait 50 000 frs net. Car ici, il n'y a pas de frais de salle ni % à qui que ce soit.
J'avais sur instructions de votre mari fait fabriquer 50 cadres en beau bois non indigène à raison de 15 frs la pièce et j'avais fait imprimer 200 belles invitations à l'Exposition, pour 225 frs. Tout cela est ici chez moi, en attendant vos instructions.
Je pense qu'une Exposition ici aurait un plein succès. Pour ne pas devoir, après coups, vous décevoir je pense qu'on peut espérer vendre au moins 30 pochades à 1000 frs. Cela ferait tout de même 30 000 frs. Je viens d'en écrire à ce même courrier à ma femme qui est actuellement à Bruxelles, 95 rue Le Corrège, où vous êtes venue. Vous pourriez lui téléphones à l'adresse : GUEBELS Léon. Je suppose qu'elle aura déjà pu faire rétablir le téléphone ? Elle tient même pour vous des nouvelles supplémentaires sur l'accident : un rapport des autorités de l'Unatra, qui étaient sur le "Flandres" avec Fernand, quand l'accident est arrivé. Ce même rapport a certainement été envoyé au Ministre des Colonies par le Gouverneur Général et aux bureaux de la Direction Générale de l'Unatra., 25 avenue Marnix à Bruxelles où vous avez déjà, sans doute, été amenée à vous rendre.
Je vous donne cette adresse, voici pourquoi. j'avais demandé, ici, pour pouvoir vous l'envoyer, une photographie du remorqueur "Flandres". C'est un triste souvenir, hélas ! Mais me consultant moi-même, je me disais que tout ce qui touche au cher Allard me parait précieux et que vous aussi vous voudriez peut-être avoir ce document.
Or ici, je n'ai pas pu immédiatement me procurer cette photographie : elle n'existait pas dans les archives de l'Unatra, Direction de Léopoldville. Cependant à la direction de Bruxelles, Avenue Marnix, on possède le plan de ce remorqueur, un dessin au moins du type sur lequel fut construit le remorqueur.
Monsieur Van Leeuw, Administrateur Général de l'Unatra ne refusera certes pas de vous le donner.
D'après le rapport dont je vous parlais plus haut, – mais ceci n'est qu'un hypothèse à moi toute personnelle ; – car le Procureur du Roi à Stanleyville procède à une enquête, comme ça se doit, sur les causes et les circonstances de l'accident, – voici comment les faits se seraient passés.
Après le repas du soir pris en commun, sur le "Flandres" à la rive à Yanonghe, ces Messieurs, dont Fernand, causaient tranquillement sur le pont supérieur. A un moment donné, vers 8h20, Fernand s'est retiré pour "une minute", en s'excusant. Pour le dire tout simplement, un besoin à satisfaire. Précisément parce qu'il s'agissait de cela, Fernand, pour ne pas souiller le plancher, aura mis les pieds sur la barre d'en-dessous du garde-corps, constitué par quelques barres parallèles soutenues par des tiges verticales, placées à distances régulières le long du pont.
On a retrouvé des traces de couleur fraîche (on venait de repeindre ces barres) aux pantoufles de Fernand ! C'est ce qui me fait croire que lorsque le poids de son corps, placé trop haut pour être gardé par les barres du garde-corps, puisqu'il avait, selon moi, mis les pieds sur la barre inférieure, – lorsque dis-je le poids du corps l'aura entraîné dans le vide, il a fait tous ses efforts pour se retenir, des pieds, aux barres d'en dessus.
Malheureusement il était chaussé de pantoufles. Celles-ci peu adhérentes aux pieds ont lâché le pied et ont été projetées en arrière, tandis que l'infortuné Allard, continuant son mouvement de bascule, tombait la tête en avant du haut du pont supérieur, entre le remorqueur et la barge et disparaissait aussitôt. Comme il venait de dîner, et d'ailleurs... il aura été aussitôt entraîné par le courant sous le remorqueur, la congestion...,peut-être un heurt de la tête contre la coque de la barge, l'auront empêché de se sauver à la nage. Le rapport ne dit pas tout cela, mais c'est ainsi que je me le représente. Excusez-moi de raviver votre terrible deuil, mais qui donc sinon un mai pourra oser vous dire les choses telles qu'elles se sont passées. C'est le plus terrible de l'histoire, c'est que le tragique accident ait pu arriver ainsi pour une futile cause : un souci de propreté. La barre supérieure, d'après le rapport porte des traces d’éraflure ; je les attribue, moi, au frottement violent du tronc du défunt, lorsqu'il a tourné, malgré lui et malgré des efforts surhumains dans le vide.
L'enquête démontrera peut-être que je me trompe, c'est à dire que d'autres personnes expliqueront peut-être l'événement autrement que moi. Mais elles ne connaissent pas, comme moi je le connais, Allard l'Olivier, parfois peu pressé de se déranger pour aller au petit endroit ey assez confiant dans son habileté corporelle que pour simplifier, comme il a cru bon de le faire, une demande courante.
Croyez bien chère Madame, que je ne prendrais pas sur moi le triste devoir d'être un si brutal informateur, si je ne le faisais en mémoire de l'amitié profonde que j'avais pour votre mari. Il me serait bien plus facile de vous faire part de mes condoléances très sincères et venant d'un cœur que la mort d'Allard a plongé dans une extraordinaire tristesse. Je dis "extraordinaire" parce qu'aucune mort jusqu'à ce jour n'a eu cet effet sur moi, même celle de parents proches. Sans doute les circonstances, l'inattendu de l'événement, l'âge de Fernand sont bien pour leur part dans les atteintes que m'a portées cette mort, mais je n'avais pas d'ami plus cher que lui et qui au point de vue de l'art me confiât mieux ses sentiments profonds. Pour moi, tous ces jours-ci, je l'ai senti présent : et maintenant que je vous écris, il me semble qu'il me dit, derrière l'épaule "Allez-y mon ami, ne redoutez pas la peine que vous leur ferez. Qui donc leur parlera de moi le plus sincèrement sinon vous". Et voilà pourquoi, chère Madame, je vous écris sans réticence, sans voile, disant toutes les choses le plus véridiquement que je peux, au risque de m'être trompé, puisque l'enquête n'est pas terminée.
Mais alors, – si je me suis trompé, vous excuserez la hâte que j'ai décidé d'avoir pour vous informer. Je sais à ma propre faim et soif de renseignements quelle doit être la vôtre à tous les trois et à sa chère vieille maman, là-bas : et c'est cela que j'ai tout de suite voulu satisfaire. J'ai publié sur Allard un article qu'il m'a fallu raccourcir; car je n'avais que deux pages du journal à ma disposition et qui, – je l'espère, rende un hommage digne de l'ami disparu au moins, sinon de l'artiste. Car c'est un livre, un beau livre illustré de reproductions de ses grandes œuvres qu'il mérite, un livre que j'écrirais tout de suite si j'étais à Bruxelles et si de plus qualifiés que moi n'étaient tout désignés pour l'écrire. Pour moi, Allard est toujours vivant. Son âme immortelle nous demande de continuer à vivre en communauté avec la sienne, à poursuivre son oeuvre, à écouter ses conseils secrets, à prier pour lui.
Je sais bien que lui ne priait plus mais puisque nous parlions bien de ces questions, nous deux, il me semble que je ne suis pas indiscret d'en parler ainsi avec vous. Ses œuvres pour moi sont comme des prières et des bonnes œuvres. Il a exalté la Beauté de la création, collaborant ainsi à la gloire de l'auteur, même du Créateur. C'est ce que j'écris dans la fin de cet article même que ma femme vous remettra., car je ne sais pourquoi, hier j'ai hésité à vous l'envoyer directement.
Le peintre Marquès, admirateur éperdu, à genoux devant "le Maître" comme il appelait votre mari m'a gravé de suite sur linoléum, car ici c'est tout ce que nous avons, un portrait de Fernand pour illustrer cet article. Il est fait d'après un dessin que Marquès avait pour moi de votre mari, tandis que Fernand dessinait le portrait de Marquès, un jour qu'ils étaient réunis tous les deux, dans notre maison. Voilà déjà onze pages et je n'ai pas fini ! Lorsque je parle de "mon" Allard, je ne parviens plus à me contenir ! Ah ! ce que cet homme était doué pour se rendre non seulement sympathique, mais pour se faire aimer, adorer !
J'ai ici deux pochades, les deux dernières qu'il a peintes à Léopoldville. elles ne sont pas signées. Il m'avait promis de les mettre au point lorsqu'il reviendrait à Léopoldville : je les poncerai et les retoucherai, m'avait-il dit et je les signerai, lorsque je serai de retour. Il ne me les avait pas données. Cependant je vous demande de pouvoir les conserver jusqu'à mon retour en Belgique. Ce sont deux petites pochades que je mettrai facilement dans mon linge, pour ne pas les abîmer. Je vous les remettrai, à ma rentrée, si vous voulez bien m'y autoriser.
Toutes les lettres adressées à votre mari à Léopoldville (il y en a de Tournai et des cartes postales, aucun recommandé) seront retournées par la poste aux expéditeurs. Je vous souhaite d'être très courageuse, chère Madame. Si j'étais en Belgique, je serais de tout mon cœur à votre disposition pour vous assister tous les trois. Je puis vous assurer que je suis de tout cœur avec vous pour déplorer l'immense perte que vous avez faite.
Guébels L.
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L'Eventail Bruxelles, le 2 juillet 1933
Une atroce fatalité vient d'enlever à l'art belge un homme de valeur, et de rayer de notre groupe une ardente et forte personnalité qui nous était très chère.
Cet homme qui vient de mourir était un grand cœur généreux, un artiste dans toute l'acceptation du mot, et un vrai peintre. Il pouvait être pris en exemple par tous ses confrères : travailleur confiant et infatigable, bien que cette force n'ait pu vaincre en lui le doute et ce tourment dont est la proie, aux heures difficiles, l'artiste conscient. "Je fais mon métier de tout mon cœur, disait-il : tant mieux pour moi s'il m'arrive, un jour, de faire une grande oeuvre."
Il justifiait ce que nous pensons des peintres en général, et surtout en ce temps présent. Comment, ils choisissent le plus merveilleux des métiers, ils sont maîtres de leur temps, de leurs idées, de leurs inspirations, et ils voudraient par surcroît, sinon l'assurance d'être couverts d'or, eu moins celle de vendre régulièrement leurs productions ! Cela serait souhaitable pour sauver ceux que l'on classe parmi les génies, bien que, dans le passé, ils aient su, quelques-uns, avoir le courage et la dignité de connaître la pauvreté sans le crier sur les toits. Mais pour vivre de son art sans frapper à la porte des subsides, gouvernementaux et autres, encore faut-il naturellement connaitre "le métier de peintre" et n'être pas exposé, devant la proposition d'un "lord" d'exécuter son portrait à cheval, à devoir lui répondre "Moi je ne sais que peindre pommes sur une nappe à carreaux".
Allard l'Olivier, lui, ne reculait devant aucun travail relevant de la palette et de la brosse, et sa vaillance à vaincre les difficultés faisait l'admiration de tous. J'ai d'ailleurs constaté, non sans plaisir que ceux-là même dont le goût d'exception se prétendait insatisfait de son art ont su reconnaître et le talent et les réalisations de notre ami.
Au reproche d'habileté de métier que certains critiques lui adressaient, j'opposerai ce mot d'un marchand parisien qui disait d'un peintre :"c'est bien évidemment, mais ça devrait être plus inquiet, enfin... plus maladroit !" Voilà le grand mot lâché ! Honte à ceux qui furent à l'école, il faut aller chez le professeur de maladresse !
Quelques jours avant l'affreuse nouvelle, son nom fut prononcé dans une réunion de comité, et l'un des assistants déclara qu'il ne voyait pas d'autre peintre, chez nous, capable d’exécuter, mieux que lui, les admirables panneaux de l'exposition d'Anvers.
C'est vrai. et comme il est réconfortant d'entendre, parfois, un peintre proclamer spontanément son admiration pour un autre ! Pourquoi est-ce rare ? Allard l'Olivier méritait ces élans. il en était lui-même coutumier.
Il avait le culte de l'amitié. Il apportait à la fréquentation des amis l'enthousiasme et la joyeuse confiance qui dominent sa vie. Quel allant et quel talent aussi ne mit-il pas à interpréter ses rôles dans nos revues du Cercle Artistique ! Et comme il habillait le personnage en artiste ! Il était si débordant de vie que jamais l'on eût pu songer à être, un jour, privé de lui...
Eut-il des ennemis ? Je ne le crois pas ; il fut peut-être envié. Mais lui, jamais, ne parlait mal des autres et pour moi, j'estime qu'on ne pouvait le connaître sans l'aimer.
G.-M. Stevens
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Union Nationale des Transports Fluviaux
Bruxelles le 20 juillet 1933
Madame,
Nous avons l'honneur de vous faire parvenir, ci-annexée, une copie du rapport que nous a adressé notre direction d 'Afrique, relatant les circonstances dans lesquelles s'est produite la disparition de feu votre mari, M. Allard l'Olivier.
Veuillez agréer, Madame, L'assurance de notre considération très distinguée.
L'Administrateur délégué... (Signature illisible)
UNATRA : Secteur de la P.O.
Relation des circonstances ayant entouré la disparition de Monsieur Allard l'Ollivier (sic), suivant déclaration des témoins; MM Boonen, Malschaert et Van Daele.
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Le 9 juin cournat, à Yanonghé, se trouvaient su la passerelle du sw Flandre, occupés à converser, après le repas du soir : MM. Allard L'Ollivier, Bonnen, Malschaert et Van Daele; à la connaissance des témoins, aucun indigène ne se trouvait à l'avant ou à l'arrière de la passerelle.
A 20h20, déclare M. Boonen, M. Allard L'Ollivier se leva, s'excusant "une minute" et se dirigea derrière le bureau lui servant de cabine, du côté tribord (vers la rive).- Immédiatement après on entendit le bruit d'un corps tombant à l'eau et les cris d'un noir du bateau "...na Maï", seuls les derniers mots furent compris.
Entre le sw. Flandre et la rive -beach Silva et Andradès se trouvait la barge 015; un intervalle de 0.40 à 0.50m. séparait la barge du bateau.
Les traces suivantes furent relevées après la disparition de M. Allard L'Ollivier : sur la tringle supérieure du grade-corps, à environ 2m50 de l'arrière de la passerelle, la peinture était fraîchement arrachée sur une distance de quelques centimètres.
Une des pantoufles de cuir que portait M. Allard L'Ollivier se trouvait sur l'entrepont (cabine du capitaine) projetée sous une table à 0.80m environ du rebord de ce pont; la seconde pantoufle se trouvait sur le rebord de l'entrepont (sous la passerelle par conséquent). L'une des pantoufles portait des traces de peinture, provenant manifestement du garde-corps de la passerelle, déclarent MM. Boonen et Malschaert.
Une petite clef de valise se trouvait sur le plat bord de la barge immédiatement en dessous.
D'autre part, la coque et les épontilles du bateau non plus que les plats bords et la coque de la barge, examinés minutieusement au moyen de lampes et le lendemain à la clarté du jour ne portaient aucune trace, éraflure récente ou tâche de sang.
Au moment de la chute, les témoins précités se précipitèrent immédiatement au secours de M. Allard L'Ollivier : M. Malschaert descendant par l'extérieur du bateau, le long des épontilles et faisant lâcher le câble à l'arrière pour écarter le bateau du la barge, M. Van Daele rassemblant quelques hommes et sautant dans la baleinière de la barge pour procéder aux recherches dans l'eau.
Sans perdre un moment, M. Malschaert et M. Van Daele firent passer un câble sous le bateau, de l'avant vers l'arrière, dans l'espoir de ramener le corps dans le cas où celui-ci aurait été engagé sous la coque.; La même opération fut répétée immédiatement sous la coque de la barge.
Les recherches continuèrent, dans la roue du Flandre, dans les gouvernails du bateau et de la barge, pendant que la surface de l'eau était explorée au moyen du phare du bateau.
Il fut également procédé sans discontinuer à des sondages sous le bateau et la barge, aux environs et à l'arrière de ceux-ci, au moyend es gaffes de la barge, mais aucun résultat.
La profondeur de l'eau atteignait environ 2 m sous la barge et de 6 à 7 m sous le ss. Flandre.
Les recherches continuèrent jusqu'à minuit, sans interruption.
Immédiatement après l'accident et dès le début des manœuvres et recherches effectuées par MM. Malschaert et Van Daele, M. Boonen fit une lettre pour avertir les autorités, dont aucun représentant ne se trouvait à Yanongé. Cette communication fut remise au clerc de l'agent territorial avec mission de la faire expédier séance tenante à l'endroit où se trouvait cet agent (à Yakusu, a déclaré le clerc) ; une pirogue partit vers 21h avec un messager.
N'ayant reçu aucune réponse le 10 courant, à 7h, M. Boonen décidé de gagner les plus tôt Isangi, pour faire déclarations nécessaires aux autorités.
Le ss. Flandre arrivé à Isangi à midi le 10, et l'agent territorial présent au poste (M. Rousseau) procéda à la mise sous scellés des bagages de M. Allard L'Ollivier et acta les déclarations de MM. Boonen et Malschaert.
L'équipage interrogé par l'agent territorial n'a pu ou n'a pas voulu fournir aucun renseignement, les hommes déclarant n'avoir rien vu ou entendu. Cependant, déclarent MM. Boonen Malschaert et Van Daelen, quatre hommes de l'équipage de la barge 015 étaient assis sur les écoutilles de la barge à proximité de la barge où est tombé M. Allard L'Ollivier et n'ont pu manquer de voir ce qui se passait. Vraisemblablement effrayés ou pour l'une ou l'autre raison, ils se sont bornés à soutenir qu'ils n'avaient rien vu.
Les déclarations de MM. Boonen et Malschaert ainsi que des hommes d'équipage de la barge 015 ont fait l'objet d 'un rapport de l'agent territorial d'Isangi. Rapport adressé par lui au Procureur Général de Léopoldville.
M. Vans Daele que cet agent avait omis d'interroger, fut questionné à Bumba, par l'autorité territoriale, et n'a pu que confirmer ce qui précède.
MM. Boonen, Malschaert et Van Daele déclarent ne pouvoir s'expliquer l'accident ni les circonstances qui l'accompagnent. Le faible espace séparant la barge du bateau permettait à peine le passage d'un corps, aucun cri ne fut poussé, aucun choc ne fut entendu, à part le bruit caractéristique d'un corps tombant à l'eau, aucune trace de sang ne fut découverte sur la bateau ou la barge.
D'autre part, pendant la journée passée à bord, M. Allard L'Ollivier s'est montré très affable et très gai, parlant de sa famille, de sa joie de retrouver les siens et de ses projets lors de sa rentrée en Europe.
Il semble donc malaisé de supposer autre chose qu'un accident aussi stupide qu'imprévisible. Les garde-corps et la passerelle du bateau étaient en bon état, il n'existait pas d'autre danger de chute qu'une imprudence ou un malaise subit de M. Allard L'Ollivier, ce que rien dans son attitude n'avait pu prévoir.
Monsieur Boonen précise qu'entre le moment où s'est levé M. Allard L'Ollivier et le bruit de le chute, il n'a pas pu s'écouler plus de 30 à 40 secondes.
Fait à Bumba le 13 juin 1933.
Certifié sincère et véritable
Signé par : L'inspecteur mécanicien, Le chef de secteur ff, Le Capitaine du ss. Flandre, Le patron de la barge 015.
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Léopoldville le 12/VII/33
Chère Madame,
J'attends toujours le dernier jour du courrier pour vous adresser des nouvelles, mais il n'en est point venud epuis le dernier rapport dont j'adresse une copie à ma femme, 95, Rue Le Corrège- à Bruxelles. Un télégramme seulement disant que le médecin avait procédé à une autopsie et avait ainsi constaté une fracture du crâne, due donc à mon vais, au heurt contre la barge lors de la chute. Le parquet de Stanleyville poursuit toujours son enquête. Il y aura sûrement un rapport judiciaire sous 15 jours. Ils mènent là-bas des recherches dans tous les sens, envisageant toutes les hypothèses. Enfin nous verrons leurs conclusions dans 15 jours mais je doute fort qu'elles soient autres que celles des témoins presqu'oculaires qui ont dressé leur rapport aussitôt après les faits. L'absoute a été donnée au défunt par le R.P. missionnaire de Yanonge.
J'avais pensé pouvoir ramener le cœur de mon cher peintre, à mon retour. On avait en effet envoyé le contenu gastrique au laboratoire de l'Etat à Léopoldville en vue d'analyse. On voulait voir sans doute si la chute n'était pas due au vertige provoqué peut-être par l'ingestion d'un soporifique ou d'un poison. J'ai peut-être tort de vous écrire tout cela ? Pourtant je me mets à votre place : dans ce cas-là, je voudrais, aussi, tout savoir. Alors je vous dis tout ce que j'apprends au fur et à mesure. C'est très cruel, mais vous ne m'en voudrez pas de vous rendre un devoir d'amitié. qui vous le rendrait, ici, sinon moi ? J'espérais donc que l'on avait envoyé les viscères au complet au laboratoire. Alors, j'aurais réclamé le cœur, mais on n'a donc pas envoyé tout cela. Je demanderai au R.P. missionnaire, de Yanonge une photographie de la tombe de votre mari. Je comptais ouvrir ici d'abord une liste de souscriptions pour élever sur place un monument à Allard l'Olivier, puis je me suis dit que cette initiative revenait à des personnages plus haut placés que moi, en Belgique. Votre mari était d'ailleurs plus connu à Elisabethville où il a séjourné, lors de son premier voyage, en 1928, beaucoup plus longtemps qu'ici. Et puis je me suis demandé si cela vous plairait ou pas. Ce sont des initiatives louables mais parfois intempestives et les parents préfèrent bien souvent qu'on leur laisse le soin de décider de ces choses. En tout cas je me suis permis de le suggérer, dans l'article que j'ai publié dans le "Courrier d'Afrique" et dont ma femme vous aura remis une ou deux feuilles.
J'en ai fait relier en brochure quelques exemplaires qui vous seront envoyées au prochain courrier.
J'ai ici les cadres à 50 fr la pièce qui avaient été faits par la Synkin pour l'exposition qui devait avoir lieu les 24 et 25 juin, à Léopoldville. Donnez-moi l'autorisation écrite et explicite de les vendre à raison de 10 fr la pièce. Il n'y a évidemment qu'un seul amateur ici. C'est le peintre Marques, qui réduira à ce cadre les dimensions des prochaines pochades. cela me permettra de récupérer 500 fr sur 750. On ne peut demander d'avantage à Marques, parce qu'il dispose d'un menuisier charpentier nègre qui lui fait ses cadres, dans la même moulure d'ailleurs, à meilleur compte que l'industrie de la place.
Les cartes d'invitation qui étaient prêtes à être envoyées, il n'y a rien à en faire, évidemment. Je puis vous en envoyer quelques exemplaires, si vous aimez d'en avoir, c'est un tragique souvenir !
Votre mari, en allant au bassin de natation, ici, à Léopoldville, avait perdu sa bague. Le Président du cercle nautique a fait vider le bassin et l'a retrouvée. Elle a été remise au Conseiller juridique en chef Mr Bock, à Léopoldville qui l'enverra, s'il ne l'a déjà envoyée, au Ministère des Colonies à Bruxelles, où elle vous sera remise si elle ne l'est déjà.
Si vous aviez une bonne photographie de mon cher disparu, je souhaiterais beaucoup, à condition évidemment de n'en pas priver de plus proches, ou de plus amis que moi, en posséder une. Je sais très bien garder le souvenir d'Allard, sans cela, mais si j'ose vous le demander, c'est que j'y attache une importance sérieuse. Le portrait tient présent au souvenir l'image de l'ami. Autrefois, je n'en avais pas besoin, il écrivait. C'était encore mieux. J'ai gardé toutes les lettres de votre mari. Maintenant comme je suis content de les avoir !
Je ne sais si vous pourrez mettre la main sur une petite feuille de cuivre où il avait gravé un nègre accroupi. C'est un chevrier. Cette planche avait d'abord comme destination d'illustrer mon poème "L'Anneau de N'Goya", mais Fernand la trouvait trop noire. De fait il y règne une certaine confusion. Il y a renoncé et a fait alors ses six monotypes, que j'ai acquis et qui j'espère vont être publiés bientôt. J'ai demandé à mon éditeur d'ajouter à la page de devant cet hommage-ci à Allard : "A l'impérissable mémoire du grand artiste qui illustra ce livre".
Mais lorsqu'il est passé à Léopoldville, Fernand a vu que j'avais mis sous verre l'eau-forte du chevrier. Tiens m'a-t-il dit : vous l'aimez ? Voulez-vous la plaque ? Moi je n'en fais rien ! J'ai évidemment accepté de grand cœur. Il m'avait même dit de vous la demander, tout de suite, mais je me suis dit que l'artiste lui-même aurait tôt fait de mettre la main dessus en rentrant. Je ne vois aucune indiscrétion à vous informer de ceci, parce que cette gravure n'a qu'une valeur d'affection. Et je serais heureux de la posséder. Ma femme est rentrée avec le sous-verre représentant ce chevrier.
J'espère qu'elle vous consolera comme j'aurais voulu le faire, si j'étais à Bruxelles. Mon beau-frère Gilson, qui aimait beaucoup Allard connait bien la région de Yanonge. Ma femme qui ne la connait pas du tout pourra s'adresser à lui pour toute précision. C'est à un jour de Stanleyville, en remontant le fleuve vers Léopoldville. Dans tout ceci j'ai omis de vous demander de vos propres nouvelles et des nouvelles de vos chers enfants. Je me préoccupe tellement de vous dire que tout ce que je sais et il y en a encore, concernant les bagages, mais ce sera pour le prochain courrier; car j'ignore où ils sont actuellement, sans doute en route. En tout cas, c'est exclusivement le Gouvernement qui s'en charge, puisque l'on n'a pas admis que le télégramme reçu par moi équivalait à un mandat suffisant.
Je viens de téléphoner à Mr Bock, le chef du service de la justice qui s'occupe de cette question? Il me dit qu'il avisera, lorsque les bagages seront ici, mais que la bague a déjà été envoyée à Bruxelles au ministère.
Pour ce qui est de la santé d'André, je n'en ai jamais dit un seul mot à son père, mais il a été informé par vous-même, car il m'en a écrit, excusant encore une fois André de ne pas avoir répondu. dites-moi si le séjour à la mer lui fait du bien. Moi, je me demande si la campagne ou la ville ne vaudrait pas mieux, mais à condition qu'André ne soit pas amené, par la vue constante devant ses yeux d'une vie mondaine ou simplement le brouhaha de la plage à faire travailler ses méninges. Il faut un repos intellectuel absolu, n'est-ce pas, presque une vie végétative. Le grand écrivain Taine a été victime d'un surmenage analogue dans sa jeunesse. Je crois même qu'il était déjà professeur, alors. Il s'est installé pour la guérison dans un petit village, dans les Vosges ou ailleurs. J'aurais dit tout cela à votre mari, à son passage, ici. mais je trouvais inutile de l'alarmer, auparavant, parce que j'estimais qu'il fallait lui laisser réunir les éléments d'une vraie petite fortune, pour sa tranquillité à venir et celle des siens. J'aimais tant mon Allard, chère Madame ! Que ce doit être dur pour vous qui l'aimiez cent et mille fois plus ! Je ne sais pas faire autre chose pour vous que tout ce que je fais. Si vous êtes si loin que je n'ai pas encore eu de réponse à mes lettres et n'en aurai pas de sitôt. Je n'en demande pas d'ailleurs. Vous avez bien d'autres soucis et ne vous pressez pas. Ma femme me dira bien tout ce qu'il en est. Mais voyez-vous : il me semble que je sers toujours mon amitié pour votre mari, en vous écrivant longuement, très prosaïquement, afin de serrer tous les détails de près, pour que vous vous disiez que vous n'en pourriez savoir d 'avantage, même si vous étiez ici, sur place. Qu'au moins tous ces détails n'aillent pas vous tracasser. Il n'y en a pas de raison, aucune, aucune.
Il vous faut au contraire tout votre courage et toute votre confiance en ce que je vous écris. alors, vraiment, vous serez tranquille, autant que possible. Je vais vite mettre ma lettre à la poste, pour qu'elle parte demain matin à la première heure. par l'avion.
Recevez avec l'assurance de tout mon respectueux dévouement, l'expression de es sentiments de vive et profonde condoléance pour vous et vos enfants.
Votre Guebels L. , conseiller à la cour d'Appel, Lépoldville, Congo
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Léopoldville, le 26/VII/33
Chère Madame,
Je puis enfin vous annoncer que les bagages sont partis. Ils arriveront à Anvers sur le même bateau que cette lettre-ci, mais de là iront au Ministère des Colonies, qui vous avisera de leur arrivée. J'ai obtenu le transport gratuit depuis Bumba (près de Yanonge) jusqu'à Anvers. J'ai remercié les différents organismes 1°) Unatra à Lépoldville 2°) Agence maritime internationale (A.M.I) et 3°) le chemin de fer dont je connaissais très bien le directeur. Précisément sur le bateau où Fernand s'était embarqué à Anvers, en partant, se trouvaient et le représentant de l'Unatra auquel je me suis adressé, Mr Marcette, le fils du peintre Marcette et qui est secrétaire général à l'Unatra et le représentant de l'AMI, Mr Lefebvre. Tous deux étaient devenus de bons amis de Fernand. Leur exemple a entraîné celui du directeur du chemin de fer.
Les malles qui étaient à la société Van Lancker et que gardait donc Monsieur Ramoiseaux (aussi un compagnon de bateau d'Anvers-Matadi) ont été envoyées avec celles venant de Bumba. Elles figurent à l'Inventaire que je vous enverrai sous pli séparé sous les n° 18,19 et 20. Fernand avait aussi envoyé chez Mr Lefebvre de l'AMI le colis n° 15 et le colis n° 17 qui eux aussi ont été expédiés avec les bagages venant de Bumba. Ainsi tout vous arrivera très prochainement et je l'espère en excellent état ; car on a mis dans des caisses les objets indigènes qui étaient avec Fernand sans aucun emballage. C'est ce que l'inventaire appelle claie sous le n° 11, 12, 13 et 14. Je suppose que la Colonie aura du faire une déclaration en douanes pour les objets en ivoire contenus dans le colis n° 9 et qu'elle aura pris une assurance pour le tout.
L'enquête judiciaire est presque terminée à Stanleyville : elle ne fera que confirmer certainement ma version des faits. Toute suspicion sur le personnel noir doit être écartée et l'analyse du contenu stomacal ne décèle qu'une faible quantité d'alcool : le verre de vin pris en mangeant ou un whisky pris, comme apéritif avant le repas, pour avaler la quinine. Votre cousin, monsieur Fossoul, commandant des Sapeurs pompiers d'Anderlecht avait demandé des nouvelles concernant le décès au commissaire de police en chef de Léopoldville, qui évidemment ne pouvait en donner autant que j'en puis donner puisque, dans ces circonstances, je me tiens au courant pas les voies officielles et officieuses de tout ce qui se découvre à ce propos et vous le communique au fur et à mesure.
Cette enquête au moins tranquillisera les parents et amis de Fernand.
Vous trouverez jointes à l'inventaire quelques autres pièces 1°) le connaissement pour le transport des 16 colis de Bumba à Léopoldville, dont le coût était de 241 frs 40 et donc est gratuit 2°) le reçu de Mr Ramoiseaux le déchargement des 3 caisses 3°) la facture acquittée et payée par Fernand à la Cie Jules van Lancker pour les objets en ébène contenus dans les colis 18; 19 et 20. Il va de soi que ces objets valent beaucoup plus, mais Mr Ramoiseaux les avait baissés au prix de revient, pour favoriser Fernand d'une occasion.
J'enverrai cela peut-être comme papiers d'affaires ou peut-être comme lettre ordinaire mais "par avion" ; car j'attends toujours la dernière minute pour vous écrire, afin de vous envoyer les dernières nouvelles.
J'ai bien reçu votre télégramme concernant les caisses déposées chez Van Lancker et Unatra. J'étais au courant de ces dépôts; dès l'annonce de la terrible nouvelle. Et je crois vous en avoir parlé dans mes lettres précédentes. Le Ministre des Colonies, – sur votre intervention au ministère sans doute– avait télégraphié au Gouverneur Général d'envoyer les bagages sans retard. Ce télégramme a certainement fait gagner un courrier, mais encore a-t-il fallu que je conduise en auto l'agent Dermoncourt au magasin où avaient été déposés les bagages à leur arrivée à Léopoldville, pour qu'il soit procédé immédiatement à leur inventaire, emballage, assurance et réexpédition vers l'Europe. Tout cela s'est fait avec célérité et avec soin. J'espère que vous serez contente. Tous ces soucis m'ont été bien agréables. Il me semblait que votre mari me regardait faire, en m'approuvant de là où il est.
Cette mort au commencement m'avait vraiment mis hors de moi. Vous m'excuserez encore de ma première lettre vous adressée. J'ai l'habitude d'écrire exactement tout ce que j'éprouve et tel quel. J'espère que vous avez reçu les articles sur notre cher peintre qui ont passé dans le Courrier dAfrique qui vient de l'éditer en 100 exemplaires – dont 50 pour l'auteur. J'en ai envoyé 5 exemplaires à ma femme, à ce courrier-ci. Cela fait une petite brochure de 20 pages à laquelle le Courrier d'Afrique a mis ses soins. C'était le Journal de Léopoldville où j'insérais tout ce qui pouvait rappeler Allard L'Olivier au public et Mr Leleux son Directeur était toujours prêt à insérer tous ces articles. Il avait même remis à Fernand des formules télégraphiques lui permettant d'adresser au journal des nouvelles télégraphiques gratuites sur ses déplacements, mais votre mari m'écrivait que par discrétion il n'avait pas voulu s'en servir. Il oubliait, le cher peintre, que ces mêmes nouvelles, étaient immédiatement télégraphiées au "Soir" à Bruxelles et qu'ainsi il aurait pu sans bourse délier, vous tenir, sans délai, au courant de tous ses déplacements. Tout ceci pour vous dire combien Fernand s'était fait d'amis au Congo. le jour de la mauvaise nouvelle j'ai reçu je ne sais combien de coups de téléphone de tous côtés, pour information plus complète. Et chaque fois, c'était un nouveau crève-coeur. Je savais si peu de choses et il fallait recommencer à leur dire que j'espérais toujours. Et à la fin, je n'espérais plus, mais j'ai tort de vous dire tout cela. C'est pourtant triste mais consolant, n'est-ce-pas, de savoir qu'au moins il a fait un excellent séjour, ici, accueilli partout les bras ouverts, en vrai frère !
Tant que j'y songe, Mr Marquès me dit qu'il est redevable de certains tubes de couleur qu'il reçut de Fernand, à son passage. Il a signé un "reçu" que vous trouverez sans doute dans les papiers de votre mari. Fernand lui avait dit qu'il ne connaissait pas le prix de ces couleurs et que c'était vous-même qui étiez au courant et établiriez le compte. Il ne doit pas y en avoir pour plus de 150 frs ou 200 frs... je suppose ?
Encore ceci. Vous verrez que de Bumba sont venus 16 colis. Or dans l'inventaire il n'y en parait que 20, alors que trois colis sont venus de Ramoiseaux, et deux de Mr Lefebvre (AMI) ce qui doit donner comme résultat : 21 colis ! C'est parce que ce que le Connaissement de l'Union nationale des Transports Fluviaux renseigne comme Sac touriste a été placé par Mr Dermancourt dans la malle-bain, sous le nom de trousse du peintre. On ne pouvait évidemment songer à faire voyager en vrac vers l'Europe, comme elle avait voyagé jusque là ce sac contenant une boite avec quelques tubes usagés de couleur, car cette trousse ou ce sac est en réalité une boite dans laquelle on place les petits panneaux en bois et les couleurs.
Monsieur Dermancourt m'a fait part de ce que les factures Cosmokin 225 frs et Synkin 750 frs n'avaient pas encore été payées, ici, du moins.
Sans doute la Direction de la Justice à Stanleyville réglera-t-elle cette question, puisque dans les malles il n'y avait pas d'argent et que les dépots en Banque, Banque du Congo Belge, ont du être envoyés à Stanleyville. Je crois qu'en tout il y a déjà 25 469 frs de réunis, venant d'Albertville, d'Elisabethville et de Léopoldville et dans le portefeuille même découvert sur Fernand il y a avait un peu plus de 4 000 frs, peut-être bien 4 250 frs. Les indigènes qui ont découvert le cadavre l'avaient ramené dans leur pirogue et avaient gardé pour eux les 4 250 frs, le canif et le mouchoir. Ils ont été condamnés très sérieusement pour ce vol. 5 ans au principal voleur, 4 ans à 2 receleurs, 18 mois à un autre, et 3 mois à celui qui avait volé le canif. Ce sont des détails que j'apprends à l'instant-même, par téléphone. Je m'excuse de vous en faire part, mais je me suis permis à moi-même de vous mettre au courant, comme si vous étiez vous-même ici. Le moment est venu de mettre ma lettre à la poste. Il me reste juste le temps de courir en auto jusqu'au bureau de la poste et j'ai peur de vous laisser sans courrier, cette fois-ci. Je vous présente ainsi qu'à vos enfants l'assurance de mon entier dévouement.
Votre bien respectueux
Guébels L.
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Léopoldville le 17.8.33
Chère Madame,
J'ai reçu votre lettre du 27 juillet et vous remercie de tout ce que vous voulez bien me dire. tout ce que vous avez décidé, concernant le retour en Europe des pochades de Fernand me parait le meilleur. Mais je suis allé au-devant de vos désirs possibles de vous et de vos enfants. Je sais trop bien qu'on n'a pas en Belgique l’âme ardente des coloniaux et que ceux-ci auraient probablement tout acheté, à Léopoldville. Ce qui vous serait certainement venu fort à point, là-bas. Je ne voulais pas, par mon silence, me soustraire à ce que je considérais comme un devoir, si vous aviez eu besoin. Je puis vous dire d'ailleurs que je n'en aurais eu aucun mérite, tant, ici, tout est facile. Je ne me répète pas, mais cependant Salle d'exposition, articles dans les journaux, acheteurs, tout est à la dévotion de l'artiste, quand cet artiste est Allard L'Olivier. J'ai cédé tous les cadres à Marquès, comme je vous l'ai écrit (pour 500 frs – que je vous fais parvenir par la Banque du Congo belge qui vous les fera remettre "aux Troënes" par la poste sans doute). Ils ne pouvaient convenir pour la Belgique, où les amateurs sont plus exigeants de ce côté, surtout que Fernand les avait habitués à son cadre-type de chez Mommen, en bois doré et patiné et avec verre.
Ici, c'était du beau bois noir du Congo et dur, difficile même d'y enfoncer un clou, sans provoquer un éclat, mais choisi... en considération qu'il revenait meilleur marché que le bois de sapin ! Il n'y a donc plus de litige de ce côté-là. La succession réglera cela, ici, comme je vous l'ai écrit, à l'avant-dernier courrier.
J'ai pris sur moi de vous tenir au courant de tout ce que j'apprenais, au fur et à mesure. Et je vous assure que c'était bien pénible pour moi d'être précisément celui qui osait vous faire de la peine ; car il n'y a rien de plus cruel que tout ce que j'ai dû vous écrire par bribes et morceaux, tout ce que je savais, sans exception, pour que vous ayez au moins confiance en quelqu'un !
Pour les bagages, tout a du vous parvenir en bon état. Vous avez pu voir que je m'en suis occupé de près et que les agents du Gouvernement y ont mis tous leurs soins. Toutes les malles et souvenirs qui étaient chez Ramoiseaux – le directeur de la firme Van Lancker et chez Lefebvre, directeur de l'Agence Internationale Maritime du Congo ont été jointes au groupe des malles trouvés sur le "Flandres". Rien n'y manque.
Madame la Baronne de T'serclaes de Wommersom m'a dit tenir encore des sommes à votre disposition. elle me demandait ce qu'elle devait en faire. Ce sont des argents provenant de la vente des Cartes postales que vous lui avez envoyées. Je lui ai répondu qu'elle pouvait vous els adresser. Elle n'y manquera pas, dès qu'elle aura vendu toutes les cartes. Elle connait sans doute votre adresse, car elle ne m'en a plus reparlé.
J'ai vu le rapport de Stanleyville. Tout confirme qu'il s'agit bien d'un accident. J'en étais certain, mais toutes les enquêtes auront quand même servi à confirmer absolument cette certitude.
Sans attendre votre désir, j'ai demandé au RR.P.P de Yanonge une photographie de la tombe de Fernand. J'avais demandé à Monsieur Marcette une photographie du bateau... Peut-être a-t-il perdu cela de vue, car je n'ai encore rien reçu.
J'ai fait imprimer à 100 ex. mon article sur Fernand. Je vous en envoie six, à ce courrier, sous pli séparé. Si vous en désiriez d'avantage, je suis à vos ordres.
Je vous remercie de tout cœur de m'avoir laissé mes deux pochades : je dis "mes" parce qu'elles m'étaient devenues si chères depuis qu'elles sont les dernières que l'artiste avait peintes à Léopoldville, avant de s'embarquer pour le Haut. Il me les avait données encore toutes fraîches du matin même et non achevées parce que je les aimais telles quelles.
Ce qu'on a été triste, ici lorsqu'on a appris la nouvelle ! Le pauvre Marques qui a piloté Fernand, ici, pendant son séjour et peignait à ses côtés, les mêmes paysages, en était tout broyé. N'avez-vous pas retrouvé dans les papiers de Fernand le "Bon " qu'il a signé pour les couleurs qu'il avait achetées ? Il ne doit pas y en avoir pour lourd comme je l'écrivais.
Savez-vous ce qu'il souhaitait comme souvenir d'Allard ou Maître Allard ; car il ne l'appelle pas autrement : une palette... Il ne sait d'ailleurs pas que je vous l'écris. Ainsi vous pouvez ne pas prendre en considération ce vœu où il entrait plus de sentimentalité qu'autre chose, mais je sens en ma conscience que je dois vous le dire parce que c'est touchant de la part d'un artiste qui peint des "enseignes" ici, pour gagner sa vie, mais qui cependant est un parfait artiste. Dans toutes mes lettres, je n'avais jamais assez de place pour vous demander des nouvelles de vous-même et de vos enfants. Je vous avoue que j'attendais toujours la dernière minute, recueillant des nouvelles jusqu'au moment de mettre ma lettre à la poste. Je crois que le Ministère, lui-même n'aura pas été mieux tenu au courant que ne l'aurez été. Et alors je n'avais plus de place vraiment pour vous dire tout ce que j'aurais voulu, à votre propos à tous trois, à la maman de Fernand. J'espère que les journaux ne seront pas allés plus vite que le télégramme de l'Unatra à la Direction ; car ici, on n'a pu cacher la nouvelle que pendant un jour seulement, pour qu'elle vous arrive par le Ministère et non, en coup de sabre, par la presse.
Si vous voulez bien me dire comment se porte votre grand garçon, vous me montrerez beaucoup d'amitié et cela me fera grand plaisir, car je m'intéresse toujours très fort à lui, comme à vous d'ailleurs.
Je suis bien content que vous ayez pu rencontrer ma femme. Elle est si gentille qu'elle vous aura donné du courage. D'ici je vous donnerai toujours tout ce que je pourrai aussi, car, pour moi, voyez-vous, nos morts vivent toujours. ils nous suivent de là où ils sont et nous donnent des conseils. Ils sont tout comme s'ils vivaient. ils nous entendent, nous demandent parfois pardon pour la peine qu'ils nous ont fait quand ils vivaient et acceptent aussi nos excuses pour celle que nous leur avons faite... Ils vivent d'une vie supérieure, parce qu'ils savent la vérité que nous oublions parfois, pendant la vie. Et nous les retrouverons, en chair et en os, un jour. Je mets ici, chère Madame, tous mes hommages respectueux et ma vive amitié.
Guébels L
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Léopoldville ce 18/9/33
Chère Madame et Amie,
Vous me demandez mon avis sur votre désir de faire transporter en Europe "les restes mortels" de Fernand. J'emploie à dessein, les termes mêmes des ordonnances sur cette matière, car il y a sur ce point une législation qui, dans son article (Ordonnance du Gouvernement Général du 26 Mars 1915) autorise l'exhumation et la Translation à l'étranger du corps d'une personne décédée dans la Colonie, dès que le corps a a séjourné en terre pendant un an au moins. De toute façon donc, cette translation ne pourrait avoir lieu que dans un an en juin 1934.
Pour moi, c'est un argument pour déconseiller la chose. Je sais bien que je vais à l'encontre de vos chers désirs et de ceux de vos enfants, mais étant consulté, je dois à vous-même mon avis en conscience. Et je me place, pour le donner dans l'intérêt de la gloire même de l'artiste disparu. Si le corps avait pu être transporté, de suite, j'aurais dit : oui, peut-être ; car alors tout eût été fait grandiosement, mais dans un an, après que déjà une exposition rétrospective aura permis de rendre à la mémoire du cher artiste un hommage mérité, après que ses amis ont déjà songé à élever au Congo, un monument où prendra place le médaillon dont vous me parlez dans votre dernière lettre, la manifestation de l'enterrement en Belgique, en juillet ou en août 1934... viendra un peu tard. Moi-même j'avais, comme vous les verrez dans une de mes dernières lettres, songé à cette translation au moins du cœur de l'artiste en Belgique. Et je vous jure que j'y serais parvenu, si le cœur avait été à Léopoldville, comme je l'avais espéré. Mais maintenant que rien de tout cela n'a été possible, il me parait qu'un beau monument au Congo, là où repose ce peintre qui a magnifié le Congo, comme pas un n'a su le faire jusqu'à ce jour, là où il est mort si tragiquement, au moment où il allait quitter, pour n'y plus revenir, il me parait que ce sera plus glorieux d'avoir son tombeau, là où l'a voulu le retenir son "Congo".
J'ai déjà exprimé cette idée dans ma notice sur Allard L'Olivier (p 11, au bas de la page de la "Stèle à la grandeur meurtrie du peintre Allard L'Olivier") . Je l'ai reprise dans une méditation sur la mort consacrée à l'amitié et que j'ai intitulée "La Grand Libératrice". Voici ce que je disais, avec l'emphase excusable, dans ces moments, où j'étais encore terrassé par la nouvelle :
"Vous aussi, mon ami, arrivé à l'apogée de votre puissance évocatrice, vous avez voulu vous mêler à ce sol qui était devenu pour vous comme un second sol natal, il vous fallait vous draper dans cette terre où sont sortis le soleil, la lumière, la capiteuse fécondité de vos toiles. La mort, sublime artiste, a consenti, malgré qu'il vous en coûte, à ce que cette terre, que vous avez glorifiée, soit votre consécration suprême et votre immense tombeau."
Je tenais à vous mettre sous les yeux cette citation, chère Amie, pour que vous voyiez combien mon avis n'a pas changé depuis les 16 juin et 18 juin où je le donnais déjà et à cette heure, où je le répète, il n'est de plus glorieux tombeau pour un soldat, pour un artiste, que la Terre où il est tombé, – à la tâche.
On a ramené de Sainte-Hélène les restes de Napoléon et voici ce qu'écrit un poète belge, contemporain de cette translation :
"O Sombre Sainte-Hélène ! O Rocher granitique
N'étais-tu pas cent fois plus beau
Toi que, pour faire un trône au géant poétique
Un volcan fit sortir de l'eau ?"
Evidemment tout cela, ce sont des raisons de sentiment, des raisons d'artiste, si vous voulez, mais ne seraient-ce pas celles de Fernand, considéré, ici, comme artiste plutôt que comme époux et père ?
Notez bien qu'à ce dernier point de vue, je dirais même plus tard encore,...c'est une douce consolation pour la famille de n'avoir dans son caveau ou dans sa concession, mêlés avec les os de ses autres parents, les restes de l'un, du plus grand peut-être ? qui est allé mourir au loin, tout seul, si tragiquement !
Mais alors ne demandez l'avis que de votre propre cœur, lui vous donnera toujours raison. Et afin de vous être utile, je vous renseigne de suite sur la page où vous trouverez dans les Codes Congolais (voir Mr Gaston-Deuys Perrier, Bibliothèque, au ministère des Colonies, place Royale, à Bruxelles) les formalités à remplir pour pouvoir dans un an, ramener le corps de Fernand. C'est donc aux pages 1242-1243-1244 que vous trouverez cette ordonnance du 26 mars 1915 sur les exhumations.
Peut-être monsieur Perrier pourrait-il vous faire taper ce texte à la machine par l'un ou l'autre de ses employés ?
Vous voyez donc que la chose n'est pas impossible, puisqu'elle est prévue expressément. Vous pouvez encore y penser, prendre d'autres conseils, excusez-moi si j'ai exprimé mon avis sans ménagement peut-être mais le principal m'a paru d'abord de vous venir réellement en aide et non pas de vous distribuer des paroles seulement si agréables soient-elles.
A moi, il m'a toujours semblé qu'un monument dressé au Congo, à Yanongé même, un monument solide (il y a du beau marbre au Congo belge) une stèle, comme je l'écrivais, sur un lourd et long piédestal que les années en pourraient détruire me parait indiqué. Je vous remercie de tout mon cœur de penser déjà à moi pour une médaille reproduisant les traits de mon cher Allard. Je vous assure qu'elle ne quittera pas mes yeux et sera toujours là où je travaille.
J'imagine votre émotion à tous trois, lorsque vous avez ouvert les bagages de Fernand. Oui il avait mis dans ces panneaux bien des espoirs ! Il croyait bien, cette fois-ci, réaliser son grand oeuvre, car vous le savez il avait toujours l'ambition de "se dépasser lui-même" et parfois il redoutait de rester en-dessous. Cela c'est la frousse de tout véritable artiste : que sa propre facilité, avec parfois la complicité des amateurs, le fasse se contenter de répétitions ou des choses moins fortes. Je suis sûr que comme moi, vous conviendrez qu'Allard L'Olivier avait étreint encore de plus près son Congo, cette fois-ci et qu'il en était le dompteur, le Maître. Il en était étonné et combien ravi, lui-même, le cher Ami !
Que tout cela vous encourage, vous-mêmes, chers Amis, dans votre si lourde peine et que cela vous soutienne, dans l'oeuvre que vous entreprenez de faire vivre notre grand peintre. J'éprouve un grand contentement malgré tout à vous sentir si bien entourée par vos chers enfants, si bien secondée, si consolée : croyez-moi, chère Amie, nul autre qu'eux n'est capable de trouver le chemin de votre cœur. Reposez-vous l'un sur l'autre. C'est dans cette cellule familiale que vous trouverez ce que vous espérerez de véritable consolation. C'est vous trois qui aimaient le disparu et vous l'aimiez. Que rien ne touche à ce lien, qui faisait un faisceau des coeurs de la villa "Les Troënes".
Vous m'avez bien fait parvenir le bon du peintre Marques, mais précisément ni Allard ne savait, ni moi, ni Marques quelle somme les tubes de couleur peuvent valoir. Je vous dirai que le pauvre Marques est dans une sombre misère et qu'il m'a payé les cadres dont je vous ai envoyé le prix.... en tableaux !
Ce matin il devait envoyer pour être reproduites dans "l'Illustration" française à Paris 4 pochades..., il n'avait même pas cinquante francs pour payer le port et les droits de sortie. C'est lui-même qui a parlé de ce bon, de couleurs, désireux de vous en payer le prix... mais quand pourra-t-il le payer, sans devoir se gêner d'autre part ? Je dois dire, à la vérité, que ce bon devait surtout servir pour le cas où, comme Allard et lui l'avaient prévu, – Marques aurait repris toutes les couleurs restant à votre mari, lors de son passage, au retour à Léopoldville.
Mais renseignez-moi quand même sur le prix qu'elles valent : nous tirerons bien notre plan, ici. Je vous écris ceci pour que vous patientiez un peu, si c'est nécessaire. Je suis déjà content d'avoir pu régler des cadres "si bien" ; j'en rapporterai un ou deux en rentrant, en juin 1934 : vous verrez ainsi que vraiment vous n'auriez rien su en faire à Bruxelles et que seuls les cadres "Mommen" conviennent aux toiles de Fernand. Je vous remercie encore du souvenir que vous avez bien voulu me laisser de Fernand, dans les deux pochades qu'il m'avait remises, la veille de son départ de Léopoldville. J'ai découvert dans la revue "A-Z" un portrait, une reproduction tout au moins du portrait de Fernand et déjà, je l'ai mis sous verre, avec celui que m'avait dessiné Marques tandis qu'Allard me dessinait le portrait de Marques.
J'ai écrit à Yanonge. Mais, au courrier dernier, je n'avais reçu que les 4 dernières pages de la lettre : ce brave R.P. avait été surpris par l'arrivée du bateau et n'avait glissé dans l'enveloppe que la moitié de la lettre. Il m'a enfin envoyé la première partie, par courrier avion. Ainsi je puis vous la faire parvenir intégralement. mais il n'y a pas joint de photographies. Je lui écrirai encore pour lui en demander, car c'est de cela surtout que vous avez besoin. Les relations écrites, vous les avez eues, par bribes et morceaux, chaque fois que j'ai pu vous en envoyer et vous êtes au moins à cette heure, en possession de détails sûrs et absolument complets.
La lettre du R.P. Supérieur de Yanongé en effet donne les détails de l'enterrement, de l'absoute qu'il a chantée, des messes qu'il a dites. Des messes, oui, voilà une chose qui soulagerait sans doute l'âme du défunt.
Je sais bien que là-dessus nous n'avions pas lui et moi les mêmes idées. Nous avons encore parlé de cela, avant son départ, car, vous les savez, les vrais amis veulent surtout sauver l'âme de leurs amis et je pense bien être d'accord avec vous, en pensant que Fernand était quoiqu'on en puisse dire, un croyant dans le fond. Excusez-moi de toucher cette question. Si je n'étais votre ami, comme vous me faites le grand hommage de me l'écrire, j'aurais scrupule à dire ma pensée, mais l'étant vraiment, je sais que je puis compter sur votre compréhension et votre indulgence, si j'exprime, moi, le ferme espoir, la certitude de revoir Fernand en chair et en os, au jour de la Résurrection. J'ai priée pour cela, mes enfants aussi et ma femme ; lorsque nous étions encore réunis, ici et je ne vous cacherai pas que l'émotion profonde que m'a fait éprouver la mort de mon ami m'a tenu, pendant des semaines et des semaines, principalement parce que je songeais à toutes ces questions de notre Destinée, de la sienne, de la mienne et de celle de tous les Hommes.
C'est peut-être naïf ce que je vous dis ? Que m'importe ? Vous me dites tout : je vous dois la même sincérité. vous ne sauriez pas toute mon amitié pour Fernand, si vous ne connaissiez aussi mes préoccupations, mes espoirs, mes joies futures.
J'ai peut-être fait cette lettre trop longue. Mes confidences m'ont entraîné moi-même. Je ne recommencerai plus, excusez-moi et veuillez y voir, encore une fois, la part cordiale qu'a prise et que continue de prendre à votre deuil vous ami bien dévoué
Guebels L
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Yanonge le 26 VIII 1933
Du R.P. de la mission de Yanonge à Léon Guebels
Monsieur le Conseiller,
J'ai bien reçu votre aimable lettre du 15 juillet et j'aurais dû répondre déjà, avec le courrier précédent. Seulement, étant seul à la Mission, je n'ai pas pu, à cause d'une foule de monde qui était ici pour le 15 août. J'espère que vous voulez bien m'excuser et mon français n'est pas comme il faut, mais je suis Hollandais.
Vous me demandez de vous donner une relation de la découverte du cadavre de votre ami de feu le eintre Allard l'Olivier, mort d'une mort tellement horrible dans les eaux de Yanonge.
Avant je peux déjà vous dire que mon confrère le R.P. Jansen se trouve actuellement à la procure des R.R. Pères de Kin pour se faire soigner. Lui n'était pas sur place quand l'accident est arrivé. Mais il sait quand même tout ce que moi je sais et peut-être il est bien intéressant pour vous d'avoir un entretien avec lui.
Pour vous dire ce que je sais : vendredi le 9 juin vers le soir, j'ai bien entendu un bateau "Le Flandre" qui descendait de Stan et qui s'accostait au beach d'un commerçant portugais Andredes, pour prendre des charges. Je n'ai pas l'habitude d'aller aux bateaux et ce soir-là aussi je suis resté chez moi. Ce n'est que le lendemain, après la Messe pendant que je déjeunait que mon boy me demandait si je ne savait pas qu'il y avait un blanc tombé dans l'eau la veille et que jusqu'alors on ne l'avait pas encore retrouvé. Je prenait immédiatement mon moto pour aller au bateau, mais voilà le bateau déjà au milieu du fleuve pour partir. Il n'est donc pas vrai ce que les journaux écrivent que le bateau est resté pendant deux jours en place pour chercher le cadavre. Aussi je ne voyait pas de pirogues pour chercher le cadavre. Je trouvait le tout tellement drôle et je ne pouvait croire que la veille il y avait eu un accident tellement triste. Je suis aller chez le Portugais Andredes et lui il me disait qu'il avait été au bateau et après avoir arrangé les affaires il était entré chez lui pour le souper. Pendant le souper il entendait des cris des noirs et venant dehors il entendait qu'un blanc était tombé dans l'eau. Les quatre blancs c.a.d. Mr Allard, le capitaine, un Mr pour la barge et un inspecteur mécanicien (?) avaient été ensemble en prenant leurs appéritiv. Mr Allard s'est éloigné pour aller à côté du pont supérieur, soit pour faire son commission, soit pour vomir (comme on dit aussi). C'est là que Mr Allard est tombé. Le ... noir est venu tout de suite après au bateau et les blancs lui ont montré la place où il était tombé. Je lui ai demandé s'il n'a pas envoyé des noirs pour chercher. Il dit que oui mais que personne n'a osé se mettre à l'eau.
le lendemain vers midi l'agent territorial, Mr Coss et le Docteru Chesteron de la K.M.S Yakusu qui se trouvaient tous deux à Yakusu sont venus à Yanonge. Mr Cos est commencé à faire chercher les noirs avec des filets et le soir ils sont partis à Yakuzu où madame Cos était gravemeny malade.
Ce soir-là, j'ai fait faire une cercueille pour que je pensait bien que le cadavre serait retrouvé aux alentours de Yanonge. Le docteur m'avait encore demandé si je voulais bien assister au dispensaire quand le cadavre serait retrouvé, pour qu'il avait donné l'ordre à son infirmier noir d'ouvrir l'estomac et d'envoyer le contenu à Yakuzu.
Le dimanche matin avant la messe, je voyait une foule de monde aller vers l'hopital. On avait trouvé le cadavre et l'amenait au dispensaire en pirogue. Le cadavre était trouvé à Yaliembe, village Lokele, quelques centaines de mètres du poste de Yanonge.
J'ai dit la messe et tout de suite après je suis allé à l'hopital pour y assister à ce que le Dr m'avait demandé. C'était terrible de voir le cadavre. Presque tout noir, gonflé. On voyait bien qu'il était tombé parce que derrière, au dessus de l'oreille droite il y avait un trou formidable sans blessure. Aussi l'oreille droite était rouge de sang et gonflée. Vers 11 1/2 heures l'opération était finie. J'avais fait chercher le cercueille, on l'a bien arrangé et après avoir constaté tout ce qu'il avait sur lui (ce qu'on a envoyé à l'Etat) on l'a préparé pour l'enterrement. J'ai fait l'absoute, et avec tous nos chrétiens, Mr Andredes et Mr Pertus d'Estison (???) nous sommes allés au cimetière pour l'enterrement. j'ai dit pendant 6 jours la Messe pour le repos de son âme et je prie le Bon Dieu qu'il aura pitié avec lui.
Le lendemain l'après-midi Mr Libois (commissaire de district adjoint) Mr le Substitut et le Docteur Chesteman sont venus à Yanonge. Ils ont déterré le cadavre. Après le souper le D. est parti chez lui à Yakuzu. Les deux autres sont allés à Isangi, parce qu'ils pensaient de trouver le bateau encore là-bas.
Le lendemain, les deux derniers sont revenus à Yanonge et sont restés pendant 4 ou 5 jours pour finir l'enquête. Coss m'a appelé aussi deux fois et j'ai dit ce que je savais. Le reste vous savez bien Mr le Conseiller. Les vols et qu'on n'a u retrouver qu'une moitié de son argent qu'il avait sur lui.
Il faut m'excuser Mr le Conseiller si je finis brusquement mais le bateau est là et j'ai peur de venir trop tard. Vous faites le mieux d'aller trouver un peu le Père Jansen. A Stanleyville on avait pensé à un crime, mais je crois qu'on peut bien être sûr qu'ici il s'agit d'un accident.
Prions pour le repos de son âme. Quant à moi, j'ai dit et je dirai souvent la Messe pour le repos de son âme.
Agréez M. Le Conseiller l'assurance de mon profond respect et mes salutations très distinguées.
P Jos Gerrity Sup
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