Croisière sur le Kraken
En juin 1931, FALO est invité à une petite croisière sur le voilier Kraken, un côtre de 22m, dont le capitaine est Gérard de Buyl.
De ce voyage, il reste un carnet, que possède la famille du capitaine, dont les dessins sont clairement de FALO, et le texte, amusant, d'un narrateur inconnu.
Merci à la famille de GdB de me l'avoir communiqué !
Lundi 8 juin 1931
Paris. Nous descendons du train de Bruxelles Fernand et moi à l'heure où les terrasses s'embaument
du parfum des apéritifs. Un coup de téléphone au « Grand Mât », nous apprenons que le notre nous
attend rue La Fontaine. Taxi. Mme Grand Mât, l'hôtesse la plus accueillante qui soit nous imbibe
d'un Pernod supérieurement tassé, du tour de maintient qui inquiète le Trappe. (Mais j'aurais ma
revanche!) Dîner d'un raffinement gastronomique, à dessécher les glandes salivaires de Curnonsky
– un plat notamment, le poulet-homard, délicieux et imprévu symbolise l'entente cordiale des
« terriens » qui restent et des marins qui partent avec cette différence toutefois que le poulet
disparaît tout comme le homard. Outre nos hôtes les convives sont M et Mme J. les nouveaux
propriétaires du Kraken, que nous sommes chargés de leur amener à Bénodet.
Mr et Mme Trappe, gentil couple jeunot qu'il faudra séparer. Nous emmenons monsieur qui sera
médecin du bord ainsi qu'il appert de la prestigieuse trousse et de la triple mallette médicaments
qu'il emporte .
Au dessert, apparition aux mains de la gracieuse Francine-du-Grand Mat - du présent cahier rouge
qui sera la préoccupation de ma croisière et le remord des mois qui suivront.
Il s'agit d'y consigner les événements mémorables de notre navigation. Hélas Francine ! Les jours
ont passé si vite, la mer était si belle, les bains, le Pernod, le whisky, la sieste, nous ont donné
tellement de travail que j'ai souvent terminé la journée sans avoir pu- matériellement noter un seul
des événements mérités (?) Et puis la chaleur séchait l'encre de mon stylo, le roulis tournait la page
où j'allais écrire, le tangage me la collait au nez et puis... il fallait soigner le Trappe.
Bourrelé de remord, farci d'inquiétude, j'en appelle à ton indulgence, Francine. Je fais de gros
efforts de mémoire pour combler les lacunes de mes notes, raclant mes méninges jusqu'à l'os.
Outre le Trappe nous emmenons Francis, le matelot, révélation de cette croisière : une mâchoire de
cheval, des yeux de faune et le nez d'Anatole France, montés sur deux échasses qui disparaissent
vers le haut dans un tricot bleu, et vers le bas dans deux péniches jumelles. Une casquette de marin
couronne l'édifice. Sous cette casquette logent l'imagination et la sensibilité nourries de lointains
voyages et de l'imprévu quotidien, la fantaisie et l'humour les plus tendres et les plus cruels, pas mal
de qualités morales et immorales. Le non-conformisme le plus exalté et quelques souvenirs
estompés de pandectes et de droit civil.
Fernand -le Peintre- est à l'égard de l'eau d'une sobriété remarquable. Mais il se grise
indifféremment de Pernod, de soleil, de bruit, de bière, de nuages, de whisky et surtout de peinture.
Belle santé, belle humeur, se grisant de tout sauf de la soif.
Café, pousse-café, repousse-cafés nombreux, qui ajoutés aux trois formidables Krug nous valent
une agréable carburation.
Mardi 9
Nuit écourtée. On se retrouve dans tous les couloirs et toutes les salles de bain de ce confortable
caravansérail. Deux taxis nous enlèvent nous et cet impressionnant monceau de bagages où il y a
des couvertures, du cinéma, des boites à couleur , des phonographes et un matériel d'opérations
chirurgicales.
Déjeuner à la gare de Lyon. Nous accaparons un compartiment de 3e. A part Francis, nous n'avons
pas encore l'air bien marins, plutôt celui d'une troupe de figurants de cinéma.
Histoires, gaudrioles, discussions scientifiques, nautiques, artistiques et littéraires. Le Trappe, avide
de s'instruire, introduit son nez comme un coin partout où il se rit quelque chose. Le Grand Mât
entreprend déjà une éducation qui prendra les proportions d'un dressage auquel tous participeront.
Entrecoupées de fouilles toujours fructueuses dans le généreux tas de sandwichs préparés par Mme
de B, et de fréquentes stations au wagon-buffet, la journée s'écoulera sans fatigue.
10h du soir.
Reçus au quai des Belges par l'équipage. L'étonnant Louis, gnome bienfaisant, agile, actif,
prévenant, aussi indépendant que bien stylé, Noël, Breton déluré souple et gris comme un chat et
son pays Bastien, aussi lourd et lent et réticent que l'autre est léger et rapide. Pernod sur le pont et
repas improvisé où les tomates et l'ail nous naturalisent méditerranées. Le soir au vieux port,
griserie d'être loin déjà de notre nord, dans l'attente du départ sur ce beau Kraken dont la coupe, le
gréement, l'équipage imposent confiance
La vie est belle.
Mercredi 10
Soleil du matin sur le Vieux Port. Marseille ne m'a jamais paru aussi beau que par ce matin
embrumé, nacré, où les voiles disparaissent aspirées par la mer proche.... Mais nous ne partons pas
encore, courses en ville. Joie d'acheter dans les magasins de matelots quelques objets indispensables
et beaucoup d'autres tout à fait inutiles. En file indienne, on traîne dans la chaleur montante, des
vitrines, des magasins, le long des comptoirs qui sentent l'huile et le goudron. Le Trappe se ruine en
achats de cirés, de bottes de noroîts qu'il ne mettra jamais.
Je charge à bord une installation de TSF : rouleaux de fil de cuivre, chapelets d'isolateurs en verre,
bobines avec lampes, accus, pinces, marteaux jonchent le pont. On commence à regarder de travers
l'opérateur et son matériel. Découragé, il finit par le laisser en pagaye... et nous suit au « Brûleur de
loups » le bistrot que nous avons adopté et où nous jetons l'ancre... quelque fois par jour !
Nouvelle peu rassurante : un amateur (?) veut acheter le Kraken à tout prix... ! On verra.
Le Grand Mât se met en rapport avec le propriétaire à Paris. Rendez-vous est pris pour demain avec
l'amateur. On discute, on s'énerve un peu, on s'impatiente. Le bateau, si bien fait pour naviguer
roule légèrement bord sur bord comme s'il haussait les épaules.
Dans la chaleur, le bruit, la lumière généreuse, les heures coulent. Le pont, inondé de soleil est déjà
notre home. La terrasse du « Brûleur de loups » à l'ombre n'est pas moins accueillante. La vie est
belle.
Jeudi 11
On se lève avec la vague impression que quelque chose ne va pas. La visite de l'amateur nous
inquiète. Qui est-ce ? Que veut-il ? La croisière n'est-elle pas compromise ? Partir bon dieu, partir
d'abord ! Mais on attend l'amateur.
Il arrive pour l'apéro, avec un ami, tous deux un peu étonnés de trouver cet aristocratique Kraken
aux mains d'une bande de types qui tiennent du pirate, du forçat, du saltimbanque, et du vagabond
spécial plus encore que du matelot.
De Neuville est sympathique, un peu snob à première vue mais serait vite à la hauteur. Au fond il
nous envie. Il revient le soir avec deux amis. Visite du bateau. Présentation de Louis et de Francis
devenus copains tout de suite. Apéros. Rendez-vous est pris à Barcelone, ou de N. nous rejoindra
après avoir à Paris conféré avec J. Notre croisière en Atlantique semble compromise, mais on
« tient » la Méditerranée en tout cas. Quoiqu'il arrive, nous partons cette nuit, et une fois en mer !...
Je crois qu'il faudrait nous prendre à l'abordage pour nous faire lâcher le bateau qui est déjà
« notre » Kraken.
Dîner dans le carré. Louis s'avère un cok remarquable, Francis un steward de première. Les
histoires commencées sur le pont, chacun raconte la sienne. La vie de clown, de trapéziste, de marin
de Louis, les souvenirs d'étudiants de Francis, coloniaux de Fernand médusent le Trappe. Le Grand
Mât l'impressionne doublement, histoires de voyages, de guerre, gaudrioles au piment le plus rouge.
Dernière station au « Brûleur de loup ». avec l'équipage au complet. Tournées de tournées, le café,
la fine, la der des der, le coup de l'étrier, la noisette... Un peu débraillé l'équipage du Kraken sue
l’enthousiasme. Le Trappe téléphone une dernière fois à madame Trappe. Fernand mûrit à vue
d’oeil.
23h. Tout le monde sur le pont, on largue les amarres. Belle manoeuvre de départ. Bambito en
pantalon rouge, le torse nu semble un corsaire un soir de combat. Entièrement mûr il tient le coup
admirablement.
Vendredi 12
On part au moteur, croisant les vedettes attardées qui rentrent du Faro plein de ploucs et de fêtards
modestes. Les quais de Marseille disparaissent.
Tout le monde sauf le toubib dont les premières vagues ont calmé l'enthousiasme et Bambito qui
roupille, est sur le pont.
Cap OSO. Très faible brise. Elle se lève un peu vers 1h. Joie d'être enfin partis, de vivre entre le
clapotis de l'eau et le claquement des voiles. Bonne odeur de café au petit jour sur le pont.
Brume. Peu de vent. On flotte sans avancer. Léger roulis. Apparition rapide du Trappe, qui a oublié
sa TSF (Dieu soit loué!). Il tient bon tant qu'il peut mais sans succès. Au cours de la journée, à sa
couleur de jeune laitue succède le ton rose brique du nourrisson, c'est le coup de soleil du docteur
(Héliotrope déclare notre maître en calembours, le Grand Mât)
L'équipage a vraiment bel aspect et par équipage il faut entendre tout le monde, car comme passager
on ne peut guère compter que notre pauvre « jeune docteur du bord », alias l'oiseau des îles, alias
notre petite Poupette, chère petite vieille chose pitoyable, marchant sur les talons, enduit d'huile de
coco ; accueilli par des bourrades et reçu comme une quille dans un jeu de chiens. Mais cela le
forme ce petit : quand il aura fait peau neuve deux ou trois fois encore, il nous remerciera. Il nous
remercie déjà.
L'équipage, pirates, frères de la côte, gangsters, gars du milieu usagés, mais sûrement pas yachtmen
d'une croisière de luxe. Louis trouve que « ça c'est de la brioche ! ».
Nourriture excellente, moral à la hauteur. La vie est belle.
Samedi 13
Calme plat. Le Kraken ingouvernable tourne sur lui-même comme un bouchon.
Toilette du pont, astiquage des cuivres. Francis montre ses dessins les « chasseurs de grives »
surprenants, ironiques, cruels, hallucinés. Très personnels.
Apparition du Trappe, sous sa seconde peau, rose luisante de graisse, ce qui lui vaut un snif soigné
de Louis qui craint les tâches sur le pont. Il semble guéri, assagi et prend la barre sérieusement.
Cap sur Port Vendres. Beau temps clair, faible brise. Fernand dessine.
11h. Un relent de Pernod parfume le bateau.
Déjeuner à l'arrière, la marmite au centre du cercle, les assiettes calées entre les pieds nus. Ragoût
pimenté d'ail, de porto, de whisky, à faire remonter à la surface tous les noyés de Méditerranée.
Mais il ne remonte que des marsouins.
Retour offensif du Trappe avec sa TSF. J'ai l'impression que s'il arrive à la faire marcher on le f... à
l'eau. Sieste. Bain exquis (de vaseline pour Poupette). Séchage au soleil. Fernand et Julot se
« croquent » mutuellement. Le premier et Francis commencent l'illustration du présent cahier rouge.
Coucher de soleil admirable.
22h. Le vent de terre se lève. C'est mon quart et par veine, la brise fraîchit.
Dimanche 14
Belle brise fraîche. Joie d'être à la barre avec pour la première fois les voiles pleines,de sentir le
Kraken cabré, léger, puissant, obéissant et taillant de la route. Francis qui dort sur le pont est
réveillé par une lame et trempé et prend le quart après moi.
L'étai de trinquette a cassé dans la nuit. Louvoyage. On longe les cotes d'Espagne de très près, les
photographes s'en donnent.
Déjeuner sur le pont : soupe de morue et aïoli, presque meilleur que la bouillabaisse.
Belle brise. Temps idéal.
13h. La drisse de grand voile usée par la ragage de cette nuit casse net. Amené la grand voile, hissé
la voile de cape, qui est en fait une bonne voile de route. Hissé le foc n° 2.
Lundi 15
Dès le matin, lavage, cuivres astiquage dans les détails pour l'entrée à Barcelone. On a confié au
Trappe les fanaux de position. Ils 'escrime de son mieux, sage et appliqué. Il se forme, s'en rend
compte, et semble s'en réjouir.
Avec Noël je fais les chandeliers, les baguettes des skylights, et l'habitacle de la boussole.
Sérénité, apaisement qu'on trouve dans le travail manuel qui laisse l'esprit libre, tour à tour
sommeillant et lucide mais sans inquiétude. Le soleil tape dur. Aux approches du port la mer est
terne et grise comme du plomb. Barcelone apparaît immense, colorée à peine estompée dans une
vibration de lumière.
Rentrée au port, amarrage pris du club nautique.
Sérieusement gréés en yachtmen cette fois, nous descendons à terre Gérard, Francis, Louis et moi.
Capitainerie du port. Santé etc. Formalités faciles.
Balancés encore par le roulis des derniers jours nous suivons la Rambla entre la double rangée de
fleurs présentées par de belles filles brunes. A l'hôtel, rien pour nous.
Nous attendrons à Barcelone les ordres de J ? et l'arrivée de N.
Quatre jours se passent en flâneries, sur les quais et dans le ville, à la terrasse des cafés où l'on
savoure la bière fraîche mais plus encore le spectacle de la vie qui passe. Barcelone est calme. Rien
n'y sent la révolution. La politique d'ailleurs est en ce moment le cadet de nos soucis. Savoir si le
bateau sera vendu, si nous continuerons sur la Bretagne ou si nous resterons en Méditerranée tout
est là. Le reste on s'en fout...
Le Kraken est devenu notre maison, notre foyer, notre pays. Il n'appartient à aucun de nous mais
chacun s'y sent chez lui. Aucun désir de déjeuner ou de dîner en ville, de voir un spectacle ou bien
un film.
A part une longue visite à l'admirable musée du parc où la peinture romane des vieilles églises des
Pyrénées est entre autres merveille une révélation pour les copains, et quelques balades en ville,
dans les quartiers populaires grouillants de vie, au marché San José splendide de couleurs : fruits,
légumes, poissons, fleurs, viandes rouges – nous vivons à bord, faisant notre ménage sur le quai,
prenant nos repas sur le pont. Heureux de reprendre notre tenue de pirate, costume de toile et pieds
nus, après la torture des chaussures et des chemises.
Bastien nous quitte pour rentrer à Bénodet.
Vendredi 19
Ms de Neuville et Cuistrat (?) arrivent à bord. Le premier tout de suite jovial, déjà camarade, le
second réservé, plus taciturne, un peu inquiétant. Notre tenue les étonne peut-être un peu mais plus
encore la disparité de ces types : ingénieur, médecin, artistes, matelots, qui semblent vivre panse au
soleil, tous poils dehors, dans la plus parfaite égalité.
Visite minutieuse du bateau, qui paraît leur plaire. Connaisseurs, bons navigateurs semble-t-il, très
sportifs rien ne leur échappe.
Ils se font peu à peu du bateau une opinion qui se reflète sur le visage du commandant qui se déride
s'éclaire se familiarise. Apéro, bouillabaisse succulente, une super bouillabaisse arrange tout.
Convivialité. De N, très copain. Le commandant raconte parce qu'on insiste quelques épisodes de sa
vie de soldat de marin d'alpiniste, de chasseur qui décèlent un type : racé, sérieux, pas snob pour un
sou, misanthrope peut-être mais loyal et sympathique.
On décide de partir le soir même vers Port-Vendres, avec un escale à San Felix. Appareillage.
Le commandant prend la barre. Belle nuit pleine d'étoiles. La vie est toujours belle mais on a eu
chaud !
Samedi 20
Brise modérée. La barre amarrée le commandant, qui ne l'a guère quittée visite la bateau jusqu'à la
pomme du mât. Le Kraken sous voile de cape se gouverne tout seul. Vers midi on jette l'ancre dans
la baie de san Felix de Guixols, petite plage de ville d'eaux modeste, vide encore d'étrangers.
Épicerie, achats pour le bord. Apéritif au restaurant (dont nous faisons l'ouverture) du Bano d'Eleu.
Retour à bord. Bains délicieux, assez frais mais revigorant, suivi d'un dîner bien arrosé, le vin
d'Espagne est délectable.
Soirée sur le pont.
Comme dans les contes orientaux, les histoires reprennent à la nuit. Louis est un conteur admirable,
ses aventures avec le lion destiné à « Quoi Vadis » , avec le singe de sa patronne, contés avec
l'assent, et la mimique sont cocasses et savoureuses. Après avoir comme nous tous malmené le
Trappe, et lui avoir prédit les pires infortunes conjugales, il s'est radouci à son égard à mesure que le
pauvre semblait s'amender. Pour Francis c'est un père.
Dimanche 21
9h départ. Bon vent. Louvoyage par forte houle et vent frais. La journée se passe à lutter contre une
mer forte sans avancer sensiblement. Le Kraken tient admirablement. Rien ne bouge. d.N. et Cuitras
(?) paraissent l'apprécier fort. Au cours d'une manoeuvre Francis perd sa casquette. Elle tenait
tellement à sa personnalité qu'il apparaît tout changé. Mon béret le coiffe sans le consoler.
On décide de rentrer à San Felix.
La petite ville est en fête. Le colonel Macia l'a visitée. Chansons, musiques. Bizarres orchestres
espagnols jouant des airs locaux qui nous arrivent un peu assourdis mais nets, un peu
mélancoliques.
Roulé dans le foc, je passe la nuit sur le pont. Fernand très énervé, grisé d'air, de vent, peut-être de
whisky et de vin d 'Espagne déborde d’enthousiasme jusque tard dans la nuit.
Lundi 22
9h Départ. Journée terne, on erre dans la brume. Francis, à l'avant, sonne du cornet à brume, comme
un marchand de crème glacée. La nuit on met un projecteur en action. La vue est bouchée à dix
mètres. Le brouillard se lève avec le petit jour. On repart au moteur vers Port-Vendres.
Mardi 23
9h. Arrivée à Port-Vendres. On accoste à quai. Juste devant un bistrot où nous déjeunons de tartines
et de café. De N. et le C. leurs expériences faites à bord du Kraken nous quittent pour aller voir J. à
Paris. Ils nous retrouveront lundi à Marseille. Fernand et moi entreprenons la lessive de notre linge
sur le pont. Flânerie sur le quai. Bain. Fernand donne une leçon de perspective à Louis. La
production de Bambino nous étonne : croquis, aquarelles, esquisses, portraits, il a déjà de quoi faire
une exposition. Francis a fait quelques dessins étonnants de caractère.
J'ai à peu près rempli dix pages de dessins et d'aquarelles.
A la tombée du jour nous partons, Gérard, Fernand et moi pour Collioure, à quelques kilomètres.
Sur les places de Port-Vendres, les hommes jouent aux boules, les femmes fêtent les enfants qui
allument les feux de la St Jean et sautent par-dessus les flammes. La route serpente entre les
maisons, puis grimpe sur la falaise et suit la mer jusqu'à Collioure.
L'arrivée, l'aspect du village de pêcheurs tapi au fond de la baie, au pied du l'immense éperon qui
couronne le château nous impressionne. Tous les détails effacés, la couleur éteinte, il reste les
masses puissantes qui vont en s'étageant depuis la mer jusqu’au sommet de la montagne entre les
rochers déchiquetés.
Partout sur les cimes et au fond des calanques s'allument des feux.
Venu par la mer, abordant dans ce pays sans la préparation des étapes en chemin de fer, nous avons
l'impression d'un monde irréel ou très lointain.
Nous reviendrons demain.
Retour par la route, assez las, traînant les pieds lourds des gens déshabitués des chaussures et de la
terre ferme. La joie de rentrer à bord, de s'étendre à l'abri, dans le silence du carré, sur les couchettes
fraîches de maroquin, après un dernier verre de bière glacé !
Mercredi 24
Nous mettons à l'eau la vedette pourvue d'essence pour le moteur, de pain, de vin et de saucisson
pour nous. Le Grand Mât emporte son appareil, Fernand et moi toiles, papiers et couleurs. A
Collioure par la mer avec escale dans les petites baies abritées où nous nous baignons. Rhabillés, la
vedette nous laisse Fernand et moi sur un rocher face à la petite ville dont la masse jaune et rose
nous tente. Travail silencieux, toute la matinée, avec le clapotis des vagues à nos pieds, l'odeur
d'iode et le bon soleil qui nous chauffe les reins.
Le patron revient avec la vedette. Pique nique puis on aborde sur la plage. Tour en ville. Vieille
petite ville presque espagnole, tassée au pied de son château démesuré. G photographie, F et moi
peignons. Francis venu à pied nous rejoint.
Le vent se lève, on embarque et l'on rentre, mouillés d'embruns.
Le soir une autre expédition se prépare. Louis, Noël et Francis ont décidé le Trappe à les
accompagner dans la tournée des grands ducs. Le Trappe ne téléphonera pas ce soir à Mme Trappe.
Gréés en matelots rupins, les quatre s'en vont vers Cythère.