1917 : naissance de Paulette
Fernand au front
Durant tout 1917 Fernand écrit à Juliette à raison d'une lettre tous les deux jours en moyenne lorsqu'il est à La Panne. Je ne dispose malheureusement pas des lettres de Juliette à Fernand.
On retrouve la même situation lors des voyages de Fernand en Afrique, mais là on a une explication : Fernand annonce à son retour lors de son voyage en 28, qu'il a détruit toutes les lettres reçues de sa famille car "trop volumineuses"...On peut donc imaginer que lors de la Première Guerre mondiale, il a également détruit les lettres reçues de Juliette et de sa famille.
Au printemps 1917 Juliette est seule à Paris avec son fils André, surnommé "Tchamanou" et est aidée de la bonne Honorine. Elle tombe malade gravement, d'une pleurésie, alors qu'elle est enceinte pour la deuxième fois. Les lettres de Fernand sont inquiètes, à juste titre.
Voici deux lettres complètes de Fernand. (Comme d'habitude, elles sont recopiées intégralement, et les mots illisibles sont suivis de (?).)
14 juillet 1917
"Chère Petite,
Tes lettres étaient courtes, elles s'absentent. Ce matin, pas de courrier. Il n'en faut pas plus pour que je m'inquiète à me demander si ton mieux progresse. Hier tu me disais que tu pouvais te lever et t'occuper un peu....pourvu que tu n'aies pas été imprudente- je te sais très capable de te fatiguer à des bricoles. Il ne faut pas et je tiens à te mettre en garde contre toute espèce d'imprudence. Je puis te garantir que si la pleurésie est bénigne en elle-même, elle peut être terriblement traître si on l'oublie, même à un an d'intervalle. Il faut y penser toujours et prendre toutes sortes de précautions voulues contre un retour offensif qui prendrait alors un caractère de véritable gravité. Le médecin d'ailleurs ne te l'a pas caché en te disant qu'il se pourrait que tu ne puisses t'occuper du bébé. Il ne savait sans doute pas qu'Honorine est de tout repos, constamment près de toi et que nous avons, Dieu merci, des amis dont les prévenances valent toutes les drogues de la Juive apothicaire y Morticole (??) . Pas de tourments et beaucoup de soins, toutes les pleurésies se guérissent facilement, sauf celles des gens qui rigolent des petites précautions se fiant à leur bonne santé reconnue. Et c'est ce que je craindrais si tu n'étais intelligente et raisonnable....enfin ...assez pour m'écouter (il fallait que je termine mon homélie grave par une taquinerie, tu ne m'en veux pas, dis ? ).
Je t'annonce que j'ai le cafard, cela m'est venu comme ça tout à coup, sans raison. Ou peut-être parce qu'il fait tiède et que je n'entends pas chanter le rossignol. Cependant j'ai là un bon boulot, peut-être mon meilleur, j'ai même pris note de la façon dont je l'avais exécuté à la seule fin d'avoir toujours cette méthode présente à la mémoire; elle est si je me souviens bien identique au grand tableau de nus de Christiana....tu sais le tableau que j'ai fait en deux ou trois jours. C'est évidemment du portrait de Mme Tack dont je te parle. Je voudrais qu'il soit terminé pour le mettre en lieu sûr, les événements qu'on attend approchent rapidement, déjà des actions de détails ont donné un aperçu de ce que ce sera. Cette longue Guerre est la chose la plus épouvantable qui se soit passée, je crois, depuis le déluge. Plus criminelle que la peste, par le nombre des ses victimes et l'application de sa science exacte.
La nuit tombe, je vais me pieuter, je suis harassé, n'ayant interrompu mon travail que pour aller nager, ce qui me coupe ce soir bras et jambes. Où est le temps où je prenais mes trois bains quotidiens assaisonnés de quelques dix ou douze kilomètres ? Penmarc'h ! Les larmes me montent aux yeux quand je pense au bonheur passé. Il reviendra mais plus avec cette pureté hélas ! Le temps a vieilli nos cœurs et les blessures sont longues à se fermer. Enfin je t'aime bien, et cette affection forte d'amour et d'amitié peut encore bien des choses. Je t'embrasse de tout mon cœur de vieux poulet et je fais un train entier de baisers pour le Tchamanou.
Il fait maintenant tout à fait noir et j'écris à tâtons.
Fernand"
La lettre de Fernand
La lettre suivante est écrite juste avant le départ de Fernand en permission, pour la naissance de sa fille.
Fernand au front
22 août 1917
"Chère petite femme,
Ceci est la dernière lettre avant mon arrivée. Nous sommes mercredi et j'ai encore trois jours, trois longs jours à tirer pour m'embarquer. je me suis arrangé pour les raccourcir en allant passer quelques heures avec B. demain : rien de tel que les allées et venues pour assassiner le temps. Quelles heures mornes je passe ici ! Un dégoût profond pour le moindre geste que je fais en tant que peintre. C'est consécutif sans doute à l'effort donné sans m'en rendre compte dans les trente programmes faits dimanche. C'est même assez curieux que quand j'entreprends un boulot comme celui-là, j'ai l'impression de jouer (? un mot illisible). ; aucune fatigue, une frénésie facile, puis le lendemain, un dégoût, une impossibilité matérielle et morale de me remettre au travail sain.
Sais-tu que j'aurais un autre motif, voilà deux jours sans lettre. Est-ce toi, est-ce ton état de santé, est-ce le facteur ? Je me demande si tu ne me fais pas la surprise avant que je n'arrive (rem : la naissance de Paulette est imminente) -
bref je suis nerveux, impatient, maussade. Comme replié sur moi pour mieux me détendre au congé si proche. Dimanche ! Dimanche à midi, madame, je becquerai près de vous. (...)"
Le 25 août, Fernand quitte La Panne, rejoint sa famille à Paris, et la lettre suivante date d'octobre 1917.