1917 : madame Tack

Madame Tack était une vieille dame de plus de 80 ans, qui parcourut les tranchées sur son âne pendant les premières années de la guerre. Elle est restée après la Première Guerre mondiale un symbole de la vaillance et de l'énergie belges.
En 1917 Fernand se lance dans un portrait de Madame Tack.

La toile est grande : 2 m sur 1 m 65. On peut de nos jours la voir au Ministère des Armées.

Fernand démarre la toile en juin 1917 : voici ce qu'il écrit à Juliette :

Je commence aujourd'hui même les études pour le portrait dont je t'ai parlé, celui de Madame Tack, jeune veuve de 82 ans, perchée sur son âne .C'est une personnalité de la guerre, ayant vécu trois ans dans les tranchées, ayant sa villa bombardée. J'ai le cœur battant comme celui d'un gosse à qui on offre un jeu splendide. Peut-être vais-je faire un bon portrait .
Naturellement c'est à mes frais que je l'entreprends et ce sera assez lourd, attendu que tout coûte les yeux de la tête : châssis, toile, couleurs, et que je vais faire un grand boulot, sans doute grandeur nature (…)

 

Une esquisse, 54 x76 cm, huile sur toile. 

Puis en juillet : 
 
(...)Une grosse commande, celle que je me suis donnée, l'âne portant la bonne vieille Madame Tack, « l'héroïne » des tranchées de l'Yser. Je travaille activement et j'ai là deux bonnes études venues dans le feu, si je continue ainsi, j'ai là un tableau sérieux en train qui marquera ma vie . N'est ce pas une veine que de sentir que je me rattrape après avoir battu l'eau pendant près d'un an ? (…)
 
et encore :
 
(…)J'ai là un bon boulot, peut-être le meilleur, j'ai même pris note de la façon dont je l'avais exécuté à seule fin d'avoir toujours cette méthode présente à la mémoire ; (…) C'est évidemment du portrait de Mme Tack dont je te parle. Je voudrais qu'il soit terminé pour le mettre en lieu sûr.
 
Voici le texte dont il parle : 
 
 
 
 
La toile définitive, qui est au musée de Tournai. 
 
 
Et une des études faite par Fernand pour la tête
 
 
 
 
 
Après la guerre FALO écrivit à Madame Tack pour lui parler de la toile, elle lui répondit : 
 
Lettre manuscrite de Madame Tack, adressée au peintre le 19 octobre 1920, et datée de Nieucapelle, Villa-Marietta.
 
Cher Monsieur,
 
Je me rappelle très bien du grand Peintre, cela me fait plaisir que vous ayez vendu mon image au Musée, aussitôt mon arrivée à Bruxelles, j'irai la voir, je descends chez ma fille Madame Buyse rue Le Titien 51. Je vous préviendrai de mon arrivée, et j'espère vous revoir avec plaisir.
Je suis issue d'une famille Seigneuriale, ma bisaïeule était une Delle Diaz une Espagnole, les restes de la Seigneurie existent encore à dix minutes de la Villa-Marietta à Nieucapelle, la ferme de la belle Espagnole. Depuis les années 1200, les Tack existaient dans mon village.
En 1914, il y a eu une terrible bataille durant trois jours et très tard dans la nuit, à Dixmude et aux Drie Grachten, et ça en fin septembre, c'est alors que les Arabes ont fait un carnage à Dixmude ; nous étions la moitié de la nuit dans les abris. Je suis restée pendant deux ans en première ligne à la Villa–Marietta, touchant l'Yser pour remonter le moral de mes enfants, pour lesquels j'avais un grand amour, aussi jamais je ne leur refusais rien, tout ce que je possédais était à leur disposition.
J'ai aussi donné maintes fois des renseignements à Messieurs les Officiers, connaissant tout le Pays.
J'ai été décorée en 1916 en juin par le Général De Ceuninck. Devant ma villa dans les tranchées, un peloton de carabiniers ont présenté les armes. En 1870, j'ai aussi fait le Siège de Paris avec feu mon mari, un brillant officier d'artillerie alors retraité, il causait journellement l'Arabe avec le capitaine Ab-del-Cader, le neveu du grand Emir.
En 1916, le 14 avril ma villa a été bombardée une première fois et le 21 avril une deuxième fois, je me trouvais à l'intérieur au premier bombardement, tandis que les autres fois, je me sauvais dans les abris bétonnés. Une fois l'orage terminé, j'allais à dos sur mon âne, qui a été blessé, chercher mes victuailles à Loo et à Nieucapelle-village ; elle marchait à ravir avec ses petites pattes sur les passerelles au long des tranchées.
Vous allez être étonné de voir que le nom de Tack est mon nom de jeune fille, ici les habitants ne savent pas me nommer autrement, ils ne savent pas prononcer le nom de feu mon mari, qui était un brillant officier, commandant d'artillerie né à Neuchâtel en Suisse, naturalisé belge. Je suis née à Nieucapelle le 11 octobre 1836, donc 84 ans. Douze obus sont entrés dans ma villa, devenue inhabitable, forcément je dus quitter ma demeure favorite et mes braves soldats qui étaient tous mes enfants, c'était un moment très pénible pour moi.
 
Veuillez agréer, cher Monsieur, mes bonnes amitiés.
 
(signé) : Douairière Favarger de la Favarge, née Tack.