Courrier entre FALO et Léon Guebels (Olivier de Bouveignes)
Stockel, le 3 novembre 1928
De FALO à Léon Guébels
Mon cher ami,
Quelle charmante lettre de vous pour mon retour ! Comme je vous suis reconnaissant, non seulement votre attentive connaissance de tout à E'ville m'a valu d'y vivre facilement et heureusement, mais encore vous voulez bien me rappeler le charme de ce séjour où vous et votre famille si aimable avez été les principaux éléments, sans que d'ailleurs vous vous en rendiez compte. Vous voilà maintenant averti, que votre modestie se mette sur la sellette.
Mon voyage s'étant terminé de la plus heureuse manière, j'ai voulu en vue d'Ostende témoigner de ma joie en faisant un magnifique poirier, comme à vingt ans....une déveine, un mouvement du bateau peut-être m'a fait chuter lourdement sur les reins, en sorte que mon arrivée à Anvers où j'ai été débarqué paralysé sur le dos de deux noirs a été assez sensationnelle... Ma femme de loin m'a bien cru dieu sait quoi... mourant, gaga.. ?! Sombre aventure après un long voyage sans accroc. Inutile de vous dire que trois jours de soins ont suffi pour me remettre et que depuis mon retour je déblaye activement l'énorme travail que mes études m'ont préparé.
Je m'excuse de n'avoir pu et de ne pouvoir d'ici quelques temps m'occuper de vos manuscrits. Cela se fera mais je vous demande instamment le crédit de plusieurs mois. Je n'ai pas encore vu votre jeune protégé. Soyez persuadé qu'il recevra le meilleur accueil si j'ai sa visite.
Merci d'avoir pensé à moi en ce qui concerne l'affiche : si cela peut vous être agréable je m'en occuperai mais de doute avoir le temps et surtout l'esprit synthétique qui convient à ce genre ... Il y a si longtemps que je ne l'ai plus pratiqué ! J'ai mis le souvenir de vos deux enfants sur une tablette de mon atelier : mes yeux se portent journellement sur lui et ainsi je revis en pensée auprès de vous, à vous tous mon meilleur souvenir, pour vous cher ami une cordiale poignée de mains avec l'expression de ma très vive amitié.
Allard l'Olivier
De Croyère m'a écrit. J'ai entendu des échos relatifs à l'exposition des peintres belges pour lesquels vous vous êtes une fois de plus dévoué... Je ne manquerai pas de leur dire.
Stockel, le 9 février 29
De FALO à L. Guébels
Mon cher ami,
Un froid sibérien me chasse de mon atelier où je suis d'ordinaire du matin au soir : le vent du nord pénètre par ma grande baie vitrée et se mêle de retoucher mes peintures en glacés. J'en profite pour venir vous serrer la main et présenter mes hommages à Madame Guébels. Comment vont vos charmants enfants ? Je pense plus souvent à vous tous, que je ne vous écris, croyez-le? À votre souvenir se mêle je ne sais quel charme nostalgique et je me demande parfois si vous n'êtes pas à la fois la cause et l'effet dans l'impondérable de ces exquis souvenirs d'Eville.
Nous avons aujourd'hui -20 au therm. et comme une couvée; nous sommes les uns sur les autres, grelottants, toussotant malgré le calo, vrai moloch dévorateur. Ce froid tardif est une vraie calamité qui risquerait de me faire perdre le fil si mes souvenirs du pays du soleil étaient moins hurlants ; une hâte fébrile m'a pris de réaliser mes impressions et une exposition prochaine pour laquelle je vis uniquement dirait-on comportera une centaine de pochades et quarante tableaux environ. Trente pour cent de tout cela est vendu dès maintenant et on me réclame partout.
L'État me commande douze grands tableaux que vous verrez à Anvers. Cette commande est encore verbale, mais c'est le ministre lui-même (entouré de mes esquisses accrochées dans son cahier ! ) qui a tenu à me féliciter lui-même de la décision prise. L'Illustration publiera quelques pages sur les danses au Congo dans un mois ou deux : vous aurez vu d'autre part que l'Album de la Reine et le Miroir du Congo m'ont mis à contribution. Je suis sur les dents et je m'excuse en me faisant tout à fait mince (?) d'avoir mis au tiroir des oublis "la Farce de la Lune". Je vais m'en occuper c'est impardonnable. Je ne sais comment cela m'est sorti de la tête. Quelque chose que je n'oublie pas, c'est ma collaboration à vos poèmes.... C'est juré je vais en avril passer quelques quinze jours à Nice et c'est là après mon exposition que je travaillerai à vos illustrations. Jadot est venu déjeuner chez nous. Il est maintenant directeur de la revue Sincère avec ....(?) C'est un écrivain dont j'apprécie beaucoup le talent, et vous ?
Rien à faire avec l'Etat concernant un village noir à Anvers. J'ai vu Adrien van der Blunt, Charles Camus et... (?) Tous trois disent "C'est impossible". "On" ne veut pas. "On", "On" ?? Je le regrette pour le souvenir ému que 'javais gardé de Kabinda mais c'est pour moi beaucoup de soucis en moins. J'entends que Marzorati ne retournera plus à Usumbura... Remi Séglier, deuxième visite, achat de huit pochades. Ces pochades sont décidément très prisées et il ne m'en restera quinze d'ici quelques temps. Que ferai-je ? Ne faudra-t-il pas que je me décide à revenir vous voir ?
Si d'occasion vous voyez M. Sépulche et l'autre acheteur (son nom m'échappe) de mes dessins "réservés", dites leur, je vous prie, que le Miroir du Congo les a en main aux fins de les publier dans leurs édition. Dès que ces derniers me seront rendus je leur en fera le retour en m'excusant de mon retard.
Quand vous m'écrirez et j'espère que ce sera sous peu, donnez-moi bien des nouvelles de votre charmante famille et racontez-moi aussi les petits potins. je suis curieux de savoir ce que deviennent les personnes rencontrées cordialement là-bas.
J'ai revu une fois de Croyère. Ce garçon parait un peu instable dans ses buts, il cherche dirait-on sa vocation. Genval, lui est souffrant depuis son retour... Neurasthénique ? ... peut-être. cela doit vous paraitre drôle que ce bon joufflu soit pris des nerfs... et à moi donc !
Au moment de mon exposition qui s'ouvrira le 9 avril, je ferai faire quelques photos de mes tableaux principaux et je vous en enverrai épreuves. Je reçois assez bien de visites et les coloniaux sont unanimes à trouver chez moi l'expression qu'ils souhaitaient qu'on donne à la Colonie... Il s'ensuit que des demandes sont faites, parait-il pour que le Roi inaugure mon exposition. je ne peux y croire car ce serait créer un précédent redoutable pour la paix de nos souverains si souvent mis à contribution pour des foutaises. Sur ce motus... Je laisse venir... intéressé cependant comme vous pouvez le penser.
Quand je vous aurai dit q'une fois de plus je fais démolir et reconstruire l'entrée de ma maison et que nous sommes en panne par suite du temps, que mon fils se distingue en étant premier dans sa promotion chez Mongenast, que ma fille devient tout à fait "gironde", que ma femme me réconforte quand je suis aplati par ma besogne, je vous aurais renseigné presque totalement sur ma vie laborieuse à l'enseigne des "Troënes". Puissiez-vous me donner d'aussi bonnes nouvelles de vous tous. Recevez mes voeux et l'expression de ma très fidèle amitié.
F Allard l'Olivier.
Le 13 juillet 1930 "Les Troënes" Stockel
De FALO à L. Guébels
Cher ami,
Vous êtes surpris d'être sans nouvelles de moi. je ne le suis pas moins que vous, journellement je me propose de vous écrire et le temps passe en remises journalières. Je croyais qu'une fois l'exposition d'Anvers ouverte je mènerais une vie de prélat, regardant les roses éclore et les abeilles qui les butinent dans un paresseux rayon de soleil.
Comme après la guerre où ne devait qu'être quiétude et miel. Je déchante et mon travail quotidien me tient plus âprement que jamais. Des gens naissent pour être de magnifiques flâneurs, d'autres pour devenir de sordides gens de labeur. Je suis de ces derniers et ne m'en glorifie pas, croyez-le.
Hors donc, les jours passent dans des travaux maladroits recommencés avec persévérance et quand le soir vient, adieu tout le monde, parents, amis, réjouissances, il me faut être étendu et dormir profondément. Quand prendrais-je le temps d'écrire ? déjà il entre dans mes attributions de tenir note des lettres reçues, des expositions qui s'ouvrent, des naissances à congratuler, des deuils à condoléancer et en plus à suivre cette triste bourse qui diminue tous les jours le fruit des efforts passés.
Parlons de vous. Vous avez à Anvers une participation assez grande au stand de la littérature : l'Anneau de N'goya tient trois bons mètres par ses illustrations vous en a-t-on parlé ? les monotypes exposés là sont bons et j'en parle après les avoir revus et aussi d'après ce qu'on m'en dit. Vous pourriez le cas échéant et avec six ou sept petits bois pour culs de lampe et tête de chapitre que je vous ferais, les employer tels quels pour une édition. Madame Guébels pourrait peut-être s'occuper de cela et ce serait mieux que d'attendre la fin de l'édition de luxe "Jadot" car cela n'avance pas vite malgré que je m'en occupe beaucoup. Sans doute les "Manguiers" ne sortiront-ils pas avant fin du printemps prochain, à cette époque je serai vraisemblablement au Congo. Il est questions que j'aille à E'vill via Kin pour l'exposition. Si cela vous parait possible je ferai peut-être une exposition privée à Léopoldville avec des œuvres européennes si je la fais à l'aller avec des œuvres congolaises si c'est au retour que vous me conseillez cette affaire. Vous savez peut-être le succès de mes décorations à Anvers. je me découvre des amis fervents qui parlent avec une ferveur de cette manifestation qui ne laisse pas d'être inquiétante pour l'avenir.(Comme les sardines toujours anxieux !)
Tout le monde se porte bien ici. Vous avez les amitiés de ma femme, des enfants et tous nos vœux pour votre santé. Je vous serre solidement la main.
Allard l'olivier
(Lettre conservée au MRAC, Fonds Léon Guébels, HA.01.0050)
Ce 10/12/30 Lettre à l'en-tête du cabinet du Procureur Général de Léopoldville.
De L.Guébels à FALO
Mon cher ami,
J'ai devant moi un beau bouquet de fleurs, vrai tableau périssable, mais qui me réjouit et me fait trouver belle la vie, tous les jours que je la vis. Quand les fleurs sont flétries je les remplace et je supporte avec de belles autres choses, pareilles aux fleurs, mon exil, ici : de la musique, des livres, de la solitude. et je pense souvent à vous, à ce que vous faites de beau, et à la chance que j'ai d'être votre ami. J'ai ce plaisir-là bien souvent. Il m'arrive sans que je l'appelle, spontanément. Le nom Allard L'Olivier me donne de la joie, et je le répète, parfois, rien que pour cela, mentalement. Vous voyez ce que je fais de vous et ce que je suis égoïste d'en user ainsi de votre amitié pour être heureux. Je vous souhaiterais, s'il n'y avait peut-être en cela un risque que cela soit de la fatuité d'avoir aussi du plaisir à penser qu'il y a à Léopoldville, si loin sur la terre ! un homme qui a pour vous de l'affection et de l'admiration.
Je souhaite que vous fassiez du cas de ces choses ; cela vous aidera à supporter la sécheresse de certaines journées un peu désertes. Penser à tous ceux que j'aime et qui ont de la l'amitié pour moi me sert à... et fait qu'avec les fleurs, les... les couleurs que met le soleil ou la simple lumière qui vient ou qui décline sur toutes choses, je trouve la vie belle, mais belle à ne pas vouloir la quitter avant d'avoir 100 ans au moins. Je n'ai peur de la mort que par ce qu'elle m'obligera à biffer, sinon je ne la crains pas puisque "je crois" qu'il y a encore du bonheur de l'autre côté. Voilà bien des confidences mon cher Allard. Je ne vous en fais pas toujours de pareilles. Pourtant n'est-ce pas, vous sentez bien combien je suis avec vous pour la belle chose qu'est l'art et qu'il faut toujours avoir comme but devant les yeux. Bientôt- déjà lorsque vous recevrez celle-ci peut-être-nous serons en 1931. C'est l'occasion de se congratuler et de s'adresser des voeux. Je ne trouve pas bête pourtant cette tradition et j'en profite assurément avec empressement, pour vous souhaiter d'éprouver pour votre travail la joie que donne la conscience d'avoir tout fait pour faire beau. Rien ne dépasse cette joie, secrète et mystérieuse, qu'on ne mérite qu'en se donnant soi-même à son oeuvre, sans aucune autre préoccupation que celle de la faire grande, impérissable, pour demain plus que pour aujourd'hui, pour qu'elle soit encore là quand nous n'y serons plus. Mon cher Allard, vous qui avez les moyens de faire cela et d'avoir ce bonheur-là permettez-moi de vous faire ce souhait unique (et le reste viendra d'ailleurs par surcroît) de l'atteindre, non pas par à coups, de temps en temps, mais à chaque pas, à chaque heure, si c'est possible. On a toujours à apprendre et même des Anciens, des autres, en un mot mais la vie est si courte n'est-il pas vrai que c'est encore en soi-même qu'on trouve la source vive de tout perfectionnement. La nature est loi comme monde. Nous n'en avons en nous que le miroir et le langage. Ouvrons nos yeux et soyons fidèles aux conseils les plus hauts qu'elle nous y donne . Votre bonne lettre me parlait d'une crise ; c'est une bonne crise, mon cher ami, c'est une crise de croissance. Vous avez en (vous) le bonheur-que n'ont pas parce qu'ils le refusent, les jeunes gens pressés, d'aujourd'hui;- le bonheur d'avoir d'excellents maîtres. Ils vous ont donné la conscience, le métier, mais avec quelques autres choses, c'est tout ce qu'ils pouvaient vous donner. Et je comprends très bien, lorsque vous m'écrivez que vous voudriez "reprendre vos études par l'a.B.C comme un gosse". Ce n'est pas fou, du tout et ce que vous éprouvez, tous les grands artistes l'ont éprouvé et ceux-là seulement. Les autres sont tellement sûrs d'eux-mêmes et en vérité ils ont raison de croire qu'ils savent tout (tous ce qu'ils pourraient jamais savoir) et qu'ils ont fait tout (tout ce qu'ils pourraient jamais faire)- ne soyons jamais satisfaits de ce que nous avons produit. Voulons mieux ! Oui c'est bien votre crise. et pareilles crises vous arriveront encore. On veut grandir, faire plus grand, plus beau... et l'on est prêt pour s’accroître à se remettre à l'école. Humblement à l'école des grands.
... à crise pareille, c'est bien simple à mon avis. On file seul avec sa princesse en Italie, là où il y a beaucoup de Michel-Ange, peintures, fresques, statues. Et je me trompe peut-être... n'étant pas de la partie, ... mais il me semble qu'on étudie ces as des as, comme il n'y a aucun doute que de temps en temps eux ont étudié les Grecs que la Renaissance venait de leur révéler. Je cite Miche-Ange, mais c'est toute la pléiade du Quattrocento qu'il faudrait citer ! Qu'est ce qui fait la piètre fatuité de nos jeunes... (la fin de la lettre manque)
"Les Troënes" le 27/7/31
De FALO à L. Guébels
Mon cher ami,
Je ne sais depuis quand je suis bourrelé de remords à votre propos. Il ne se passe pas de jour que je ne prenne mes élans pur vous écrire. C'est vous dire que le silence d'un ami est parfois un indice plus sûr de sa pensée fidèle q'une lettre hâtivement bâclée. Il me déplaut d'écrire pour écrire et je me suis trouvé si indigent d'idées à exprimer qu'il en aurait été ainsi si je m'étais contenté de prendre mes élans.
Le mieux est que je suis en ce moment bousculé par une besogne folle, quelques vingt-cinq mètres carrés destinés à l'exposition coloniale de Paris. C'est le B.C.K. qui m'a fait cette commande et me laisse assez d'initiative pour que j'y trouve un réel plaisir. En l'espèce c'est une carte représentant le parcours d'Eville à Boma. Ce travail est conçu dans l'esprit médiéval avec rose des vents décorative, échelle et un grand groupe de noirs du Lomani regardant passer un train. Inutile de vous dire que je m'amuse à broder sur cette trame pas mal de petits sujets qui me font revivre de délicieux moments. Il paraîtrait que je vais les retrouver car j'ai pris la décision de retourner par mes propres moyens, si le voyage qui se combine en commun échouait, voyage en auto par le Cameroun et retour par l'Egypte. Je compte donc être en novembre, décembre à Kin. J'envisage avec joie les bonnes heures que je trouverai bien le moyen de passer avec vous et avec Jadot. Je n'ai pas revu Madame Guébels depuis mon exposition polonaise. Votre beau-frère Gilson m'a téléphoné quatre ou cinq fois pour prendre rendez-vous dans mon atelier, chaque fois quelque chose est venu le distraire dans ses intentions. Je reviens de Nice où je suis allé passer un mois pour y faire un portrait et ma femme me dit qu'il n'a plus donné signe de vie. Comme il était disposé à m'acheter un tableau je présume qu'il a changé d'avis et je crains d'être indiscret en m'informant de son silence. J'espère on cher ami que votre séjour loin des vôtres ne vous pèse pas trop. J'imagine que vous devez avoir de temps en temps en dépit de votre courage des heures bien nostalgiques à traverser. Et je m'en veux de remplir si mal mon devoir d'ami. je devrais vous écrire, vous dire n'importe quoi, des bêtises mêmes, une sorte de pudeur me vient. plus je vieillis et plus j'ai l'inquiétude d'être quelconque et d'ennuyer mon monde. Je suis en grande correspondance pour mettre dans mon jeu le plus d'atouts possibles. ce n'est pas l'heure de négliger quoi que ce soit, les vaches maigres ayant une fâcheuse tendance à devenir squelettiques.
Ma petite famille se porte à merveille et se recommande à votre bon souvenir en me chargeant de ses cordiaux compliments. Pour moi, je vous serre donc très cordialement la main, mon cher ami en vous adressant mes plus vives amitiés vous priant en outre de nous rapporter du bon et beau travail sur vos impressions africaines.
Le 27 juillet 31 Allard L'olivier
(Lettre conservée au MRAC, Fonds Léon Guébels, HA.01.0050)
Le 2 nov 1932 "Les Troënes" Stockel
De FALO à L. Guébels
Mon cher ami,
J'ai sans cesse remis de vous écrire afin d'avoir quelques p... à vous donner quant à mon très prochain séjour au Congo. A l'heure actuelle je ne sais encore si mon départ s'effectuera le 18 nov par Boma ou le 9 déc par Dar es Salam ou Beira. Ce qui est certain c'est que mes malles sont prêtes et que j'aurai le plaisir de vous voir bientôt. En cas où je partirai par Beira et E'ville ce ne serait que sur le chemin du retour que je passerai à Kin après avoir fait la descente du fleuve et les Uelé. J'attends encore la décision que doit prendre à mon égard la Compagnie maritime avec qui je suis en affaires par l'intermédiaire de l'éditeur Stockemans (?)
À propos d'éditeur, il me faut vous féliciter pour cette oeuvre d'art qu'est votre livre adressé à mon fils. Sa présentation est hautement artistique et bien en rapport avec son contenu. J'ai pris plaisir aux malices philosophiques de vos animaux et vous félicite de tout cœur.
Ayant appris par invitation de participation qu'une exposition de livre colonial avait lieu à Anvers j'ai téléphoné deux fois chez ... ? leur demandant d'y expédier la préparation de votre livre. J'ignore, n'ayant pas vu cette exposition si satisfaction vous a été donnée. Ma famille en bonne santé vous souhaite la même et se rappelle à votre bon souvenir. Mon fils André continue autrement ses travaux littéraires et a repris ses cours universitaires en médecine. c'est un gaillard qui je crois promet.
Je viens de terminer une exposition qui a eu quelque succès (même pécuniaire) en dépit des temps douloureux que nous vivons. Au reçu de votre lettre ainsi que je vous l'ai dit j'ai écrit à M. Jungers que je verrai à mon passage à Usumbura.
Heenen m'écrit une lettre émouvante de bonne amitié et d'intérêt pour mon voyage. il est bon d'être aimé et c'est un bonheur que je sais apprécier en me demandant parfois si je le mérite vraiment.
A bientôt mon cher ami, travaillez, votre oeuvre est belle et est appréciée. je vous serre solidement la main et vous prie de présenter mes hommages à Mme Guébels.
Allard L'Olivier
(Lettre conservée au MRAC, Fonds Léon Guébels, HA.01.0050)
Matadi, 26 décembre 1932
De FALO à L. Guébels
Mon cher ami,
Merci pour votre lettre, elle met une voix amie dans ma solitude quasiment complète.
Je vois et ne veux voir que peu de monde dans la courte retraite que je fais ici car j'ai fort à faire pour mettre au point les vingt ou vingt-cinq pochades enlevées au Mayumbe. Ce travail fini ou pas, je prends lundi le train blanc jusque Madimba où je resterai X temps, deux ou trois jours...Comme j'y verrai très probablement Ramoiseaux, il ordonnera mon temps et fixera mon arrivée à Kinshasa : j'aurai je crois à faire un petit travail pour lui et accepterai son invitation.
Dès mon arrivée, j'irai vous serrer la main et prendre des nouvelles de madame Guébels qui je l'espère, ira tout à fait bien au reçu de cette lettre.
Je fais un voyage d'émerveillé et m'étonne de me trouver encore si apte au plaisir de vivre et de peindre.
Toutes mes amitiés pour vous et votre chère famille. Bonne fête de Noël.
Allard l'Olivier
Luluabourg le 15 février 1933
De FALO à L. Guébels
Mon cher ami,
Je quitte Luluabourg après avoir séjourné deux semaines ce qui m'a permis d'explorer la région jusqu'au Sankuru. Inutile de vous dire que je continue en raison même de mon tempérament, de kilomètres en kilomètres , à faire produire mes impresion de voyage et elles sont multiples....
Ce fut d'abord le Kasaï avec mon installation de route sur le Galiéna, hôtes charmants, heureux voyage avec la visite des postes à bois. Puis un wagon, une merveille de confort due à la générosité du B.C.K. Arrêt à Domingo d'où je suis allé voir le roi Lukengo. Reçu en grand apparat par cette châsse impotente j'ai connu des heures extraordinaires.... J'aurais voulu dix paires de bras, les miens étaient tremblants d'excitation picturale... Des croquis, six pochades ! Le soir j'étais comme une lavette mais heureux. Je me propose de faire pour L'Illustration quelques pages sur cette idole immobile. J'espère recueillir toute la documentation le concernant et peut-être lancer cette idée, qu'après tout, cette paralysie est judicieusement simulée. ce ne serait pas bête, ne trouvez-vous pas, que de garder une toute puissance occulte grâce précisément à la grandeur de l'inertie. Tant de gens se diminuent en vaine agitation qu'on pourrait proposer l'envers assez poétiquement.
Après un arrêt de quelques jours à Mweka, j'ai fait quelque cinq cents kilomètres en forêt, ayant rencontré un vieil ami du Kivu tout à fait fortuitement ! J'ai eu la joie de voir les danses Tchi Tchi'bi, petites filles ma foi fort averties qui dansent des pantomimes fort, fort curieuses et troublantes pour un quinquagénaire célibataire ! Qu'est-ce que vous allez croire ?...Vu aussi les danses sauvages chez Pania Sembé, ancien chef révolté à Tshikania ; là aussi j'ai peint en folie, me mettant de la couleur dans le nez, dans les cheveux, ce qui témoigne d'une grande agitation... exemple notre ami Marquès.
Ma santé continue à être excellente. je n epuis que souhaiter que la vôtre et celle de votre chère famille soit dans la même forme.
Mon courrier pour É'ville arrive dans quelques instants. Je vais rouler et me trouver dans l'impossibilité d'écrire : je me hâte pour vous adresser mon très cordial souvenir, mes respectueux hommages à madame Guebels et mille amitiés à vos enfants. Si vous voyez Marquès : mes bons compliments, je vous prie.
Allard l'Olivier
Veuillez dire si vous voyez monsieur Leleux que j'ai été très sensible à son article dans Courrier d'Afrique. je compte d'ailleurs lui écrire dans quelques jours.