Quaregnon

Début 1921, le nouveau lauréat du prix du Hainaut est contacté par Georges Plumat. Celui-ci, que Fernand a rencontré en 1916 dans les tranchées à Dixmude où il a fait les quatre ans de guerre, est maintenant président des Anciens Combattants de Quaregnon. Il propose à ALO de décorer la Maison du Peuple de Quaregnon. 

 

Lettre à l'entête de La Jeunesse socialiste en date du 5 janvier 1921 : 

 

"Mon cher Allard, 

Suite à notre entretien je me suis empressé d'écrire à mon ami G., pour lui demander de me consacrer quelques heures afin de nous rendre chez vous pour faire la critique du tableau. 

D'ici 3 semaines au plus tard, vous recevrez notre visite, faut-il vous prévenir du jour ? 

Comme j'ai toujours pour habitude d'être très expéditif, il m'est passé une idée dans la tête quelques jours après notre rencontre, je vous avais dit que j'étais décidé à faire un tableau chaque année, ce projet est déjà dans les cartons, ce 'n'est pas un que nous ferons mais trois, c'est à dire que dans 5 mois, je vous demanderai l'esquisse de 3 tableaux : 1°) "La Glorification du travail", les deux autres j'ai demandé à G de nous choisir les sujets. 

Aussitôt que la tombola en cours sera tirée, nous en organiserons une autre, cinq Maisons d'une valeur totale de 50 000 francs, nous ferons 100 000 billets à un franc, le tour sera joué qu'en pensez-vous ? 

Naturellement il y aura la plus grande partie des profits qui retourneront aux orphelins de guerre. 

Il faudrait me dire à combien s’élèverait le prix pour ces trois tableaux, l'encadrement sera à nos frais et fait à Quaregnon, d'accord avec vous. Il est bien entendu que "la Glorification du travail" devra avoir au moins 8 mètres de longueur sur 4 à 5 mètres de largeur, les deux autres aux mêmes dimensions que celui qui est à l'ébauche en ce moment. 

Nous pensons tirer la tombola dans peu de temps. 

Mon cher Allard, voilà de quoi révolutionner le monde des artistes et démontrer à la bourgeoisie repue (??) qu'en bas on est capable aussi de faire de belles choses. 

J'ai réuni mon comité afin de le mettre au courant de nos projets, et à l'unanimité il a été décidé de marcher dans cette voie. 

Nous vous enverrons deux mille francs la semaine prochaine. 

Au plaisir de vous lire, je vous prie de croire à mes sentiments les plus fraternels

Votre Georges Plumat.". 

 

Le 10-1-1921

 

"Mon cher Allard, 

Bien reçu votre lettre, mon ami G est enchanté de nos projets, il me donne rendez-vous pour un samedi ou un lundi, cela vous va-t-il ? Je crois aller vous rendre visite le samedi 22 courant. 

En cette occasion, nous pourrons discuter de nos projets. G m'a déjà suggéré un troisième sujet, pour le quatrième nous nous mettrons d'accord. 

La vente des billets a dépassé de beaucoup nos espérances, nous comptons tirer la tombola dans deux mois, afin de commencer le plus tôt possible la bataille pour d'autres victoires. 

Merci beaucoup pour votre cadeau, je le prendrai le 22. 

(...) 

Bien fraternellement à vous

G Plumat"

P.S. Avez-vous reçu le mandat-poste de deux mille francs qui vous a été adressé la semaine dernière ? 

 

 

En 1922, cinq grands panneaux sont finalement prêts. 

 

 

Les articles de journaux sont nombreux et très différents suivant les opinions politiques. 

 

Article du 11/3/1922 signé Jules Destrée, paru dans L'Avenir du Borinage

 

"J'ai eu le plaisir de voir dans l'atelier de l'artiste les grand panneaux décoratifs que le peintre Allard L'olivier est en train d'exécuter pour la Maison du Peuple de Quaregnon. Et mon plaisir n'a pas été uniquement esthétique et fait de la joie de voir, s'ébaucher une grande oeuvre ; il a été fait surtout de la satisfaction de voir pénétrer enfin dans nos Maisons du Peuple un souci d'art. 

Allard L'olivier est né à Tournai, de condition modeste. Bien qu'il soit en pleine maturité, c'est encore un de nos jeunes. Il a travaillé pendant quelques années à Paris, où sa production a été remarquée. Il a fait l'an dernier au Cercle artistique de Bruxelles une exposition qui a obtenu le plus vif succès. il peint en tons clairs, les aspects joyeux de la vie, et sa peinture laisse une impression de faste et d'allégresse. Dans un certain nombre de tableaux du cercle on devinait que le cadre comprimait la composition et que celle-ci était faite pour s'exprimer en grandes dimensions. Mais qui donc aujourd'hui, en dehors des grandes administrations peut encore demander aux peintres de brosser de grands ensembles décoratifs ? Qui donc ? Et voila Quaregnon, avec ses bons houillers borains, qui répond : les Maisons du Peuple ! Bravo ! 

Un premier tableau ayant séduit les dirigeants de la Coopérative ils demandèrent à l'artiste s'il pourrait se contenter d'une rémunération relativement modique pour décorer la Maison du Peuple toute entière. Une tombola, rapidement couverte dans ce milieu ouvrier procura les fonds, et Allard l'Olivier accepta avec enthousiasme la tâche formidable.  

Car c'est un bonheur inespéré pour un artiste que de pouvoir s'évader du tableau de chevalet, pour donner libre cours, sur de grands espaces muraux, à sa fantaisie et à son originalité. La tradition de la grande peinture décorative s'est affaiblie chez nous faute d'occasions de s'exercer. 

Et le peintre se mit à l'ouvrage résolument, depuis le matin jusqu'au soir, pour tirer de son imagination les visions qui le hantaient et qui réjouiront les coeurs de Quaregnon. 

Car c'est peut-être la caractéristique du talent d'Allard l'Olivier. Ses compositions chantent la joie, en tonalités fraîches et claires. L'une d'elles est un défilé d'ouvriers, une sorte d'hymne au travail. Non pas de ces ouvriers héroïques, mais douloureux qu'on voit dans les tableaux de Constantin Meunier ou de Pierre Paulus, mais des ouvriers en fête, heureux de produire, enflammés par l'espoir que symbolise le drapeau rouge éclatant dont les plis ondulent au-dessus du cortège. 

Un autre exalte les Loisirs de l'Ouvrier. Groupe d'amoureux enlacés pour la confidence, tireurs à l'arc joueurs d'accordéon, lecteur de livres, jeunes filles parmi les roses, et sous la tonnelle verte, les grands-parents sereins et bienveillants, s'éclairent du contentement qui les entoure. Joie des jeux et des loisirs dans les prés ornés de hauts peupliers, dans les jardins aux fleurs innombrables, chanson éperdue des rouges, des bleus et des verts, pour évoquer l'espace, le soleil et les charmes de la vie à ses différents âges. 

Une troisième représente, de façon imprévue, le triomphe du travail. Dans un paysage industriel, tout empanaché de fumées, d'usines et de silhouettes de cheminées, assis sur un terril, un ouvrier, à demi-nu, regarde, figuré à une échelle colossale. Les maisons à ses pieds ont l'air de jouets. Il emplit l'horizon, formidable et tranquille. Et vers lui, le saluant et lui rendant hommage, toute la série des anciennes formes sociales de l'autorité, le prêtre sous son dais, le roi sur son coursier, le juge en sa robe noire et le gendarme avec sa carabine, les financiers et les gens d'affaires, tout ce groupe traité en échelle réduite, comme un guignol ridicule de fantoches désuets. 

Enfin, un quatrième panneau s'intitulerait "La Chute du veau d'Or". l'animal stupide et brillant chancelle sur son socle. Des cordes l'en arrachent, tirées par des travailleurs aux bras robustes, aux dos musclés. Ils s'efforcent, mais sont tout à la joie de leur entreprise. Ils ont confiance dans une jeune femme souriante qui porte le drapeau rouge et leur montre au loin un coin du ciel qui s'éclaire.... 

Allard l'Olivier est-il socialiste ? je n'en sais rien, et je n'ai pas songé à l'interroger sur ses opinions politiques. Mais les indications que je viens de donner suffisent à démontrer qu'il a bien compris ce qu'il fallait à une Maison du Peuple. Quand son oeuvre sera terminée et mise en place, elle aura une valeur de propagande et de réconfort supérieure à bien des discours, et certes, on ira plus souvent à la Maison du Peuple de Quaregnon, pour voir les peintures qui la feront célèbre, que pour entendre un orateur en vogue. 

Que le peintre soit ici félicité pour avoir conçu un si large projet ; mais que les dirigeants de la Maison du Peuple de Quaregnon surtout, le soient aussi pour avoir compris le droit de l'ouvrier à la Beauté, la leçon qui se dégage de l'oeuvre d'art, la nécessité d'orner les Palais du Peuple comme on ornait jadis les palais des grands. 

J'ai tenu à signaler cette intéressante tentative de nos amis de Quaregnon pour qu'elle soit un exemple et une excitation pour ceux qui ont pour mission de nous construire à Charleroi l'édifice qui affirmera la grandeur de la classe ouvrière de notre région.". 

 

Les panneaux plaisent tellement qu'une autre collecte est effectuée avec l'idée de faire une fresque de 200 m de long, qui serait censée raconter l'histoire des travailleurs à travers les âges. Les autorités tentent d'interdire ce mode peu habituel de financement, mais la tombola a bien lieu. 

 

Article du 22/3/1922 dans l'Étoile belge signé Albert Giraud. 

 

La Misère de la classe ouvrière : Deux cent mètres de fresques ! 

 

"Tandis que certains chefs socialistes organisent la pêche aux intellectuels et demandent aux savants de venir en représentation,  dans les Maisons du peuple, d'autres s'ingénient à orner ces Maisons et à les transformer en palais. Après la pêche aux savants, la pêche aux artistes. 

Les socialistes de Quaregnon, qui voient grand et qui ont des tendresses pour l'art, ont conçu un beau projet. L'un d'eux, le compagnon Plumat – le nom sonne bien, il a du panache, il annonce de grandes choses – veut doter la Maison du Peuple d'une galerie de tableaux ou plutôt de fresques. 

Peut-être vous imaginez-vous que le compagnon Plumat est un Mécène rouge. Vous vous tromperiez : ce n'est pas lui qui décide d'offrir les fresques à la Maison du Peuple. Ce serait d'ailleurs trop lui demander. Mais vous pensez qu'il propose à la Maison du Peuple de commander des fresques à l'un ou l'autre peintre. Ce n'est pas encore cela. Non ! le compagnon Plumat demande à la députation permanente du Hainaut le subside qu'il faut pour couvrir de peintures les murs de la Maison du Peuple. La province donnera l'argent : le compagnon Plumat et les esthètes de Quaregnon auront l'honneur de la commande. 

Cette façon d'encourager le grand art est à la portée de tout le monde, pourvu qu'il y ait une députation permanente qui fasse les frais de l'entreprise. C'est ce qu'on pourrait appeler le mécénat à deux degrés. 

Il s'agit de tableaux ou plutôt de fresques qui "représenteraient toutes l'histoire du peuple à travers les âges". Et ce ne seraient pas des tableaux de dimension médiocre : le compagnon Jourdain, - pardon ! le compagnon Plumat veut des tableaux mesurant deux cents mètres de long sur deux mètres cinquante de haut. C'est parait-il l'espace qu'il faut pour que l'histoire du peuple s'y déploie à l'aise. Et faut-il l'ajouter, le compagnon Plumat et ses amis s'adresseront aux peintres les plus en vue. 

Voilà qui va bien. Le compagnon Plumat oublie toutefois de nous dire combien il demande à la province, pour réaliser son plan. Des fresques de deux cent mètres de long, peintes par des peintres en vue, et par le temps de vie chère qui court, cela doit coûter gros, car il est évident que le compagnon Plumat et ses amis n'auront pas, comme les bourgeois, le mauvais goût de marchander et moins encore l'arrière-pensée d'exploiter la tendresse de certains peintres pour le socialisme. Ces fresques reviendront à combien le mètre ? 

Quoi qu'il en soit, on voit d'ici l'effarement du peintre sur qui tombera cette commande. Comme il est infiniment probable que ce peintre n'aura jamais peint que des tableaux de chevalet et qu'il n'aura jamais médité sur l'histoire du peuple à travers les âges, il est infiniment probable aussi qu'il n'accouchera point d'un chef-d'oeuvre. Mais il est infiniment probable encore que le compagnon Plumat et ses amis jugent les tableaux sur leur sujet. 

Il y eut jadis en Italie des marchands qui firent décorer magnifiquement par des grands artistes leurs maisons de réunions et de commerce : mais c'étaient des marchands et ils avaient du goût.". 

 

 

En mai 1922, cinq panneaux sont inaugurés et Marius RENARD , député socialiste du Brabant fait une causerie à Quaregnon en présence du peintre et de sa femme. Il publie dans la foulée un petit livre dans la collection "Nos Artistes".

 

 

En juin 1922, Fernand est contacté pour décorer la Maison du Peuple de Bruxelles. 

Mais les choses ne se passent pas comme prévu : 

 

Lettre du 26 septembre 1922, adressée au citoyen Allard l'Olivier. 

 

(...) je suis révolté de la façon dont l'Arrêté Royal nous interdisant l'organisation de la grande tombola était rédigé... on a dénaturé notre pensée pour mieux détruire ce que nous voulions faire. Quoi qu'ils fassent, l'Oeuvre se réalisera (...)

 

Puisque la tombola est interdite, la fédération reproduit en cartes une partie des fresques de Quaregnon et vend ces cartes. Mais finalement, FALO  ne décorera pas la Maison du Peuple de Bruxelles.