1918 : bombardements
Lettre datée du 17 mars 1918 à la réception
"Ma chère petite Juliette
Je suis horriblement inquiet. On ne fait que parler des raids sur Paris, coups sur coups et de leurs conséquences. Victimes au-dessus, en dessous et même d'accidents consécutifs aux paniques. Je ne serai tranquille que quand tu auras décidé de partir et que tu l'auras fait. Si L. est raisonnable il pourra maintenant proposer à sa femme de combiner quelque chose avec toi : à deux femmes vous pourrez vous installer quelque petit appartement à Penmarch', Benodet ou Loctudy, ou même Pont l'Abbé. Il peut envisager cela à moins que tu n'aies enfin réponse des gens d'Hendaye ? je trouve tout à fait imprudent de rester encore là où il est non seulement inutile d'être mais encore défavorable à trois santés qui me sont chères par-dessus tout.
On me dit que la nuit d'hier a été marquée d'un troisième raid et je suis encore en train d'attendre des nouvelles du premier ; sans doute, intercepte-t-on la correspondance car je présume que ton premier soin a été de m'écrire ce que tu as fait et comment les choses se sont passées. Je veux des détails, tous les détails possibles. Je ne peux rester dans cette incertitude sur la manière dont vous souffrez ces émotions. Genval portera sans doute cette lettre à Paris.Je le prierai d'aller te voir et tu lui diras exactement et par le menu comment tu t'es arrangée avec les enfants. ...Je m'énerve surtout de ta savoir seule à te débrouiller surtout si tu suis mon conseil de rester dans notre appartement. Ah ! Si tu étais là je t'assure bien que nous ne bougerions même pas de notre lit et que nous courrions notre chance ensemble...mais ainsi !...Je me demande si j'ai eu raison en te conseillant, si j'ai été vraiment sage en craignant surtout cette courte route à faire et la cohue du métro, cohue prenante pour deux enfants dont un de l'âge de notre Quinette (sa fille Paulette). Enfin ! Pars, pars au plus tôt, voilà le véritable point. Contre les engins de malheur qu'on emploie et sans en attendre de pires, il n'y a qu'une chose à faire quand on est maman, partir- s'il n'y a rien de mieux, retourner à Aix, tout de go et de là cherche, si les V. ne sont pas très emballés de voir deux mômes et pas de bonne avec eux, ce ne serait pas pour longtemps...et puis m... c'est la guerre, ils peuvent très bien faire cela pour nous. Yvonne s'allongeait des mois chez nous à Tournai et comme cela sans crier gare.
Je suis abruti de travail ma chérie, et malgré mes tourments, je sais bien que je vais aller m'étendre et dormir comme une bête, tant j'ai travaillé, composant, mettant la main à l'exécution comme pas un et ayant l’œil à tout.
Je vous embrasse tendrement tous les trois. Je vous adore et vous aime ainsi mille fois mieux que moi-même.".
Fernand